• 09- Des questions et pas de réponses

    L’après midi fut long et éprouvant pour Salomé. Elle se serait damnée ne serait ce que pour serrer Hakim dans ses bras pour la première et la dernière fois. Au bord des larmes, elle se sentait vide le cœur rempli de remords et de regret. Avec ou sans son masque il était la seule personne qui comptait réellement pour elle.
    La cloche annonçant la fin des cours sonna comme un glas. Elle ferma son sac et boutonna son manteau jusqu’au col. Sa respiration forma un nuage de buée en forme de corolle lorsqu’elle traversa la cour d’un pas précipité. Arrivée à hauteur de la sortie elle constata qu’un attroupement s’était formé au niveau du portail. La rumeur se répandait parmi la foule des curieux comme une traînée de poudre. Anon_330 l’homme qui terrorisait les géants du Net, en quelque sorte un Robin des bois des temps modernes fendit la foule et se campa face à elle.
    Ils demeurèrent face à face un long moment sans échanger un mot. Finalement ce fut la détresse d’Hakim qui prit le pas sur la froideur d’Anon_330. Il arracha son masque et l’attira contre lui dans une ultime étreinte empreinte de tendresse et de compassion. Les bras de Salomé se refermèrent maladroitement autour de son buste.
    - Je- je suis tellement désolé, profondément désolé si j’ai blessé tes sentiments. Je mesure à peine à quel point tu as continué à m’aimer secrètement au fil du temps mais je ne peux accepter tes sentiments aussi longtemps que tu aimeras en moi l’enfant d’il y a six ans et non l’homme que je suis devenu. C’est pourquoi venir à ta rencontre s’imposait car ce ne sont pas des choses qui se disent via messagerie instantanée. Ce sont des doutes et des craintes bien réels sur lesquels il est nécessaire de mettre des mots et des sentiments.
    Il desserra son étreinte et lui tourna le dos pour cacher son émotion. Rien ne le blessait davantage que de prendre conscience qu’il était trop tard pour tout recommencer à zéro, redevenir comme avant. Salomé n’avait toujours pas pris la parole, en état de choc. Il tourna les talons et amorça un pas en avant.
    - Attends.
    Hakim remit son masque et ensuite se retourna. Il s’était à nouveau coulé dans l’image de hacker redoutable et anonyme qu’il renvoyait. Salomé se hissa sur la pointe des pieds pour déposer un baiser volé sur sa joue :
    - Au revoir donc si ce n’est adieu. Tu vas me manquer.
    Heureusement que le masque le montrait impassible de l’extérieur car derrière la carapace les joues d’Hakim ruisselaient de larmes silencieuses. Il tira prestement sur sa capuche sombre pour ne pas perdre contenance cependant.
    - Je te souhaite de rencontrer un homme qui t’aimera pour celle que tu es, celle que tu deviendras avec le temps. Mais ce ne sera pas moi ou alors la vie saura nous réunir à nouveau le moment venu. Considère notre séparation comme un adieu.
    Statufiée Salomé ne fit que le regarder s’éloigner. Peu à peu l’espace autour d’elle se vida. Un à un les élèves disparurent, les discussions s’évaporèrent. Elle se retrouva seule et éclata en sanglots. 

    Elle ne rentra pas chez elle. Elle ignora les appels et les messages de sa mère. Elle déposa son sac dans son casier et ne garda que ce qu’elle pouvait transporter facilement dans ses poches : un téléphone, des clés, de l’argent, de quoi écrire. Elle se sentait libre. Elle pouvait aller où bon lui semblait et personne n’était là pour l’en empêcher.
    Elle entra dans un fast food pour acheter un kebab à emporter puis envisagea de mettre le plus de distance entre elle même et son quartier d’origine afin que personne ne la retrouve. Elle marcha vite puis se mit à courir, essoufflée elle échoua dans un bar de quartier et commanda une bière, puis une autre et encore une autre. Ivre morte elle commanda de l’alcool plus fort. Le barman lui intima l’ordre de quitter l’établissement.
    Du haut de ses escarpins elle tituba et s’affala de tout son long sur le pavé.

    A peine avait il ouvert son éditeur de code qu’Hakim referma son ordinateur et se prit la tête entre les mains. Il s’était comporté comme un idiot sans scrupules. Il ralluma l’écran et navigua sur Internet pour trouver A comme Arobase. Le site dénué de la plupart de son contenu faisait désormais pâle figure à l’image du chamboulement émotionnel de Salomé. Il inspira profondément. La seule manière de se racheter était de prendre le risque d’être poursuivi en justice pour piratage.
    Récupérer les codes d’accès fut un jeu d’enfant et bientôt il accéda à l’interface d’administration sans encombres. Il était un hacker redoutable mais pas un idiot. Lors de chaque attaque il réalisait une copie de sauvegarde du site original par mesure de précaution. Il importa le fichier cité plus haut et regarda la barre de chargement puis d’importation défiler.
    Il composa le numéro de Salomé le temps des explications venu mais le téléphone sonna dans le vide. Il n’aurait su dire si cela était anormal dans le comportement de Salomé mais eut un très mauvais pressentiment comme si quelque chose de grave était en train ou venait de se produire.
    Il envisagea de se servir de Facebook pour la localiser mais renonça aussi vite à cette possibilité. Il savait où la trouver et cela le remplissait d’angoisse. Dans son état Salomé était probablement allée faire la tournée des bars. Ce n’était pourtant pas un endroit recommandable pour une jeune fille seule et inexpérimentée. Il était de son devoir suprême que de la protéger et la ramener à la raison. En somme la ramener à la maison.

    Une pluie fine et acérée se mit à tomber. Hakim sentit son parapluie lui glisser des doigts. Ses jambes se dérobèrent. Le cœur effondré il s’accroupit au chevet de Salomé :
    - Je- je te demande pardon ! Je ne te mérite pas je me suis comporté comme un idiot! Marmonna t il en cherchant à appeler les secours.
    Seul le silence lui répondit. Son cœur brisé hurla comme un animal blessé couvert par l’écho de la pluie. Salomé demeura inconsciente comme dans un état second. Elle entendit des sirènes, distingua des gyrophares. Un accident s’était il produit ? Y avait il des victimes ? Et ensuite elle vit Hakim penché visage nu au dessus d’elle.Ses yeux bleu océan reflétaient toute la tristesse du monde. Il courba la nuque. Ses lèvres effleurèrent timidement celles de Salomé. Un baiser volé léger comme une pétale de fleur, doux comme une plume. Elle espéra que ce moment d’intimité ne finisse jamais. Sa vue se brouilla. Elle ferma les yeux, les paupières lourdes. Elle sombra dans les abysses du néant.
    Elle cligna des yeux. La lumière venue de l’extérieur était aveuglante. Elle se redressa sur un coude et jeta un regard circulaire autour d’elle. Le soleil se déversait à flots à travers des stores blancs. L’horloge épinglée sur le mur en face d’elle indiquait dix heures du matin passées de dix minutes. Un tintement résonna lorsqu’elle essaya de se lever. En levant les yeux elle constata que ses bras étaient reliés à des perfusions. De retour à l’hôpital. Décidément elle y retournait souvent ces temps ci.
    Quelqu’un frappa à la porte.
    - Entrez.
    Leia apparut dans l’embrasure avec un plateau déjeuner dans les mains. Elle le déposa sur la table de chevet d’appoint et s’assit au bord du lit sans un mot. Elle se massa les yeux et se retourna pour dévisager sa fille.
    - Ton père n’est pas venu. Ce n’est pas parce qu’il ne pouvait pas mais parce qu’il ne voulait pas. Tu sais bien ce qu’il pense de la situation j’imagine.
    - Oui.
    - Comment envisages tu de changer les choses ? Tu es sur la mauvaise pente il ne faut pas se mentir là dessus. Faire une tentative de suicide, faire le mur, boire de l’alcool, fuguer quoi d’autre vas tu faire ensuite pour alourdir encore plus les charges qui pèsent contre toi ? Tu veux qu’on te considère comme une adulte mais tu ne te comportes pas comme telle. Si tu veux revenir habiter à la maison change maintenant de façon de percevoir et appréhender les choses car ce petit jeu avec le danger ne peut plus durer.
    - Je sais.
    Salomé tourna la tête du côté opposé pour masquer son embarras.
    Sa mère soupira avec lassitude :
    - De toute manière quoi que je dise, quoi que je fasse tu finis toujours par agir à ta guise. Prends du repos, reprends toi pour le moment. Je vais me renseigner pour te mettre en internat si tu continues à n’en faire qu’à ta tête.
    Salomé ne répondit rien. Leia tourna les talons et s’éclipsa sans délai.

    Hakim inspira profondément pour calmer sa nervosité et avança le long du couloir. Il tenait un bouquet de fleurs entre ses mains tremblantes. Il vit Leia sortir de la chambre de Salomé. Il fit semblant de chercher une autre chambre pour ne pas éveiller ses soupçons. Heureusement que la tactique fonctionna. Désormais la voie était libre. Digne il se redressa de toute sa hauteur et frappa à la porte qui se présenta devant lui. Il entendit la voix de Salomé marmonner « Entrez. »
    Avait elle pleuré ?
    Il entra sans bruit et referma la porte derrière lui.
    - Pourquoi venir Hakim ? C’est pourtant toi qui m’as dit que tu ne ressentais rien de spécial à mon égard, n’est ce pas ?
    Sans un mot il chercha un vase, le remplit d’eau aux trois quarts et y installa le bouquet.
    - Ce sont des tulipes, murmura t il en déposant le vase sur la table d’appoint.
    Il s’assit au bord du lit, hésita et se redressa. Ses jambes fléchirent mais au lieu de quoi il prit place sur le fauteuil près de la fenêtre et détourna les yeux :
    - Je ne suis pas venu te demander pardon, il est trop tard pour les excuses. Au contraire j’ai pris une décision importante et je te dis au revoir. Je vais m’en aller quelque part loin de toi pour que tu puisses continuer à vivre et te reconstruire sur de bonnes bases. Je ferais en sorte qu’on puisse rester en contact cependant mais n’essaie pas de me retrouver ni même de me prier de revenir, il faudra que tu apprennes à admettre que je ne suis pas celui qui t’apportera le bonheur dont tu rêves et que tu dois faire ta vie avec quelqu’un qui te rende vraiment heureuse.
    Salomé ne sut que répondre. La gorge serrée elle le regarda impuissante se lever pour partir. Sa vue se brouilla. La digue encore une fois menaça de céder mais elle se contint, de toutes ses forces, du mieux qu’elle put.
    - Qui plus est regarde la vérité en face, je te fais pleurer sans arrêt.
    Le temps passa au ralenti. Il arrangea une tulipe qui battait de l’aile. Il traversa la chambre. Il tourna la poignée. Il sortit dans le couloir. La porte lentement se referma derrière lui.
    Elle n’eut même pas la force de crier :
    - Hakim …
    La porte se referma dans un cliquetis. Seul l’immense sentiment de vide et de solitude qui l’envahit lui répondit.

    Son cœur tout entier n’était que regret et douleur. Hakim s’assit sur le banc des miraculés à la sortie de l’hôpital pour reprendre ses esprits. Les yeux écarquillés il peina à retrouver une respiration normale et sereine. Il voulut en cet instant rebrousser chemin, s’amender auprès de Salomé en lui présentant ses excuses les plus sincères mais n’en fit rien. Définitivement c’était trop tard. Trop tard.
    Trop tard. Trop tard !
    Il ferma les yeux et offrit son visage pâle au froid glacial de l’hiver finissant. Il savait d’instinct que tous les regards étaient braqués sur lui mais n’avait cure de cacher sa détresse et son désespoir.
    Pourquoi ?
    Pourquoi leur histoire commune devait elle se terminer ainsi ? Chaque mètre parcouru les éloignait davantage… A mi chemin il fit brusquement demi tour. Telle une étoile filante il traversa le hall en trombe, monta les escaliers quatre à quatre sous les regards à la fois perplexes et courroucés d’un groupe d’internes. À bout de souffle il vola presque le long du couloir et parvint devant la porte de Salomé. Il entra sans bruit et referma doucement la porte derrière lui. Salomé sommeillait paisiblement, la tête penchée sur le côté. Un pan de la couverture avait glissé mettant sa gorge à nu. Il la borda tendrement, l’embrassa sur le front puis recula d’un pas. Il se posta à la fenêtre et attendit.
    Salomé entrouvrit les yeux. Elle avait entendu la porte brièvement s’ouvrir et se refermer. Etait ce sa mère ou simplement une infirmière ?Elle pencha la tête du côté opposé. Elle ne voulait voir personne, pas maintenant en tous cas.
    Hakim se sentit stupide comme dans un mauvais soap opéra où le prétendant se morfond de tristesse et de remords à l’idée que se séparer de sa bien aimée soit inévitable et implicitement écrit entre les lignes du destin. Salomé remua dans son sommeil afin de retrouver sa position initiale. Au moins la seringue plantée au creux de son coude serait moins douloureuse si elle plaçait son bras de manière à ce qu’il repose sur la couverture. Ainsi elle entrevit Hakim adossé à la fenêtre.
    Etait ce un rêve ?


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