• Les paupières lourdes Salomé ouvrit progressivement les yeux. Elle ne sentait plus ses membres mous comme des chiffons sous l’effet de la morphine. Lorsqu’elle baissa les yeux elle constata qu’elle était entièrement bandée de la tête aux pieds alitée dans une chambre d’hôpital ascète. Des perfusions étaient suspendues de chaque côté du lit. Par la fenêtre le ciel s’était assombri il devait être environ dix sept heures. A travers les murs à peine insonorisés elle pouvait entendre tout ce qui se passait et se disait dans le couloir.
    Visiblement une dispute avait lieu entre son père qui avait le ton haut et une personne inconnue qu’elle ne parvint pas à identifier. Elle entendit une troisième voix, celle de sa mère, qui tentait d’apaiser et de séparer les deux belligérants.
    - Xavier tu es dans un hôpital ! Tu es prié de te calmer ou…
    - Cet avorton prétend qu’il lui suffirait de disparaître de la vie de Salomé pour qu’elle aille mieux mais de là à ce qu’elle ait fini par vouloir se suicider!
    - Ecoutez Monsieur Kluster je suis sincèrement désolé ! Je sais bien que je suis en partie responsable de la dépression précoce de votre fille et à ce titre je prendrais les mesures adéquates et nécessaires pour réparer le tort que je lui ai causé afin que toute cette histoire ne se termine pas devant le tribunal…
    - Ce ne sont pas des mots suffisants et convaincants pour prouver la sincérité de vos excuses jeune homme.
    - Comment puis je vous demander pardon autrement qu’en assumant les conséquences de mes actes ?
    Xavier ne répondit pas.
    - Je vous laisse régler cette affaire entre hommes, soupira Leia. Je vais donner ses devoirs à Salomé.
    Celle ci grimaça. Elle était sûre d’être encore réprimandée pour ne pas avoir rendu sa dissertation d’histoire à temps :
    - Tu es réveillée ? S’enquit Leia en entrouvrant la porte.
    Salomé hocha la tête :
    - Je n’ai jamais vu papa se mettre dans une telle fureur. Qu’est ce qui se passe ?
    - Ce… ce sont des histoires de grandes personnes, répondit Leia d’un ton gêné. Peu importe j’ai une bonne nouvelle et une mauvaise à t’annoncer.
    - …
    - La bonne nouvelle c’est que tu n’es pas renvoyée à condition que tu assistes à toutes tes heures de cours sans exception. Tu iras en étude du soir dès que tu reviendras au lycée jusqu’à ce que tu aies réappris à travailler sérieusement. Toutes les conditions sont désormais réunies pour que tu puisses passer le bac cette année sans encombres, à toi de faire le reste pour nous prouver que tu n’as plus dix ans. Quant à Internet tu y auras accès seulement le week-end après avoir fini tes devoirs. Tu pourras sortir avec tes amies si ce n’est pas pour aller vous défoncer au bar du coin également le week-end si tu me promets de rentrer à une heure convenue au préalable.
    - Euh… et donc c’est quoi la mauvaise nouvelle ?
    - Tes résultats sont en chute libre et loin de s’améliorer. Tu devrais te ressaisir pendant qu’il en est encore temps. Alice a téléphoné tout à l’heure en sortant de cours et m’a dit de te prévenir que la prof d’histoire t’avait encore attribué un zéro pointé.
    Une ombre passa sur le visage de Salomé :
    - Tu crois que je vais m’en sortir ?
    Stupéfaite par une telle question Leia haussa les épaules :
    - Si tu acceptes de te faire aider oui mais sinon… D’ailleurs quelle mouche t’a piqué de vouloir faire une tentative de suicide ?
    Salomé regarda le plafond pour éviter le regard inquisiteur de sa mère. Elle déglutit avec difficulté et se racla la gorge pour se retenir de pleurer :
    - J’ai l’impression de me faire harceler de toutes parts. Au lycée. A la maison. Sur Internet.
    - Je t’interdis de penser un seul instant que moi ou Xavier te harcelons. On t’aime et on le sent lorsque tu ne vas pas bien. Laisse nous t’aider au moins pour cette fois.
    - Ce n’est pas du tout ce que je veux faire sous-entendre. En fait la véritable solitude ce n’est pas ne pas avoir de vie sociale mais d’avoir goûté au bonheur une fois et de perdre celui, celle ou ceux qu’on a aimés…
    Leia acquiesça et se leva. Elle jeta un regard circulaire dans le couloir. Xavier et Anon_330 avaient disparu. Elle les trouva à la machine à café assis l’un en face de l’autre un gobelet encore chaud à la main :
    - Remettez vos querelles à plus tard. Xave tu restes ici et tu te calmes. Anon_330 tu me suis.
    Elle le précéda dans la chambre et le fit asseoir sur la chaise à côté du lit :
    - Comporte toi en homme. Tu ne peux plus fuir et te cacher comme un enfant pris en faute.
    Elle tourna les talons et ajouta avant de quitter la pièce :
    - Considère que je t’offre une deuxième chance.

    Sous le couvert de l’identité d’Anon_330 Hakim Fedaya était silencieux. Il n’était pas préparé à affronter Salomé en face et ne savait décidément pas quoi lui dire. Au lieu de quoi il retira son masque et mit un genou à terre :
    - Je te demande pardon Salomé.
    Sa respiration était rapide et saccadée. Elle mit du temps à répondre, ce qui lui parut une éternité :
    - Tu connais mon nom. Mes forces et mes faiblesses. Tu m’as sauvé la vie. Mais je ne sais toujours pas qui tu es.
    Il se releva. Sa lèvre inférieure tremblait :
    - C’est peut-être mieux ainsi. Avec le temps tu m’oublieras et tu pourras recommencer ta vie à zéro.
    Il lui tourna le dos, remit son masque et rabattit sa capuche pour masquer les larmes qui menaçaient de couler.
    - Attends… Merci de m’avoir sauvée, si tu n’avais pas été là je serais probablement morte à l’heure qu’il est !
    - Adieu.
    - … Je dois t’avouer quelque chose. Je ne te tiens pas pour seul responsable. J’ai perdu tout espoir le jour où mon meilleur ami Hakim a été expulsé et forcé de quitter la France. Je n’ai même pas eu le temps de lui dire au revoir. Nous avons perdu contact depuis alors que j’avais quelque chose d’essentiel à lui avouer : je l’aimais.
    - Il faut vraiment que je m’en aille…
    Ses doigts étaient crispés autour de la poignée et la porte claqua bruyamment derrière lui lorsqu’il la poussa avec violence. Il se rua dans le couloir et éclata en sanglots.


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  • - Les secours vont arriver, se contenta d’annoncer l’inconnu.
    Troublée Salomé resta muette. Cette voix lui était étrangère mais avait plus ou moins des intonations familières. Il pleuvait des cordes et son pull glacial lui collait au corps.
    - Je… je ne m’attendais pas à ce que quelqu’un vienne me sauver, balbutia-t-elle pour briser le silence gêné qui s’était installé entre eux.
    - Et moi je ne m’attendais pas à croiser la route d’une fille en passe de se suicider en allant faire mes courses.
    - Je m’appelle…
    Plusieurs ambulances arrivèrent sur le boulevard toutes sirènes hurlantes lui coupant la parole. Son sauveur se volatilisa subitement. Elle n’eut pas le temps de le remercier que déjà des infirmiers en blouse la prenaient en charge et l’emmenaient aux urgences.

    Ils la laissèrent seule dans le couloir verdâtre et aseptisé de l’hôpital. Allongée sur une civière elle s’emmitoufla étroitement dans la couverture de survie qu’ils avaient disposée autour d’elle et attendit. Les heures passèrent lentement, l’une après l’autre. Avec effroi elle réalisa qu’elle ne savait pas exactement où elle se trouvait et n’avait aucun moyen de contacter ses parents pour donner signe de vie. Elle se sentait extrêmement seule et ses yeux s’embuèrent de larmes. Qu’est ce qui l’avait poussée à vouloir se suicider sur un coup de tête? Comment sa solitude était-elle soudain devenue si lourde à supporter? Autant de questions auxquelles il n’était pas facile de répondre dans l’immédiat. Cependant un fait s’imposa à elle: bien qu’elle refusait de se l’avouer son espoir secret était de retrouver Hakim et d’éprouver pour lui un amour intact non dilué par le temps et les épreuves. Elle ferma les yeux et s’endormit en se remémorant son visage bienveillant et son éternel sourire chaleureux.

    Une fois dehors il retira son masque pour respirer un grand coup et griller une cigarette. Secoué, il ne s’attendait pas à ce que sa victime fût Salomé Kluster. Il avait envisagé toutes les possibilités sauf celle qu’elle allait tenter de se suicider.
    Les excuses étaient inutiles, désormais il devait disparaître de sa vie et effacer toute trace de son passage. Mais cela n’allait pas se révéler facile car il prit peu à peu conscience qu’il n’était pas l’unique acteur principal de la tragédie qui se jouait entre eux. Il pensa à Margaret Petsek et sa mâchoire se crispa subitement; Elle avait sa part de responsabilité et allait devoir s’expliquer, de gré ou de force.

    Leia klaxonna un automobiliste qui rêvassait au volant en laissant le feu repasser au rouge. Elle avait promis à Xavier qu’elle le rejoindrait à l’hôpital dès que sa séance de gym hebdomadaire serait terminée. Enervée elle s’engagea sur la file de gauche et brûla le feu rouge coupant la route à une voiture qui freina dans un crissement de pneus assourdissant.

    Arrivé aux abords de l’hôpital Xavier annula tous ses rendez-vous de l’après-midi puis regarda sa montre. Quatorze heures. Avant d’oublier il appela aussitôt le lycée Saint Michel pour leur annoncer que Salomé serait absente pour la semaine à venir au minimum. Il se mit en colère contre la secrétaire du bureau des élèves qui crut à une énième tentative de Salomé de sécher les cours le menaçant d’en référer à la direction pour que sa fille soit renvoyée une bonne fois pour toutes.

    A quatorze heures pile, la seconde sonnerie retentit et les élèves de la terminale ES1 s’empressèrent de rentrer en salle C8 pour deux heures d’histoire-géographie. A l’insu d’Honey Alice regarda discrètement derrière elle. Salomé était encore absente. Dans la cour une atmosphère inhabituelle régnait. Nerveux, le directeur allait et venait au hasard, faisant les cent pas son téléphone collé à l’oreille. De temps à autre il levait les yeux vers la fenêtre de la salle C8. La pluie avait cessé mais le ciel demeurait lourd et nuageux.


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  • Six ans auparavant:

    Dans le silence de la nuit une lumière orange dansante clignote depuis une heure sur les murs de la chambre de Salomé, orientée vers la rue au fond de l’appartement. Il est probablement une heure du matin à en croire le réveil électronique qui projette ses lueurs fantomatiques au plafond.
    Salomé frissonna de froid puis de peur lorsqu’elle s’enfonça dans le couloir sombre qui menait à la chambre de ses parents pour les réveiller et leur demander ce qui se passait. Par la porte entrouverte de sa chambre la lumière orange projette ses rayons menaçants sur les murs et le plafond du corridor: elle se met à courir, trébuche sur son pyjama trop grand pour elle et s’affale de tout son long en hurlant. La moquette épaisse et molle étouffe son cri mais quelque part une lampe s’allume et une porte s’ouvre:
    - Il est tard retourne te coucher Salomé!
    - Mais maman j’ai peur! Il y a de la lumière dehors et j’arrive pas à dorme!
    - De la lumière? s'enquit Leia Kluster, perplexe.
    - Oui viens voir!
    Elle précéda sa fille dans la chambre et vit la lumière orange qui clignotait toujours sur les murs. Elle se pencha par la fenêtre et étouffa un juron en voyant un essaim de voitures de police garées en double file sur le boulevard:
    - Xavier! Il se passe quelque chose de grave la police stationne en bas de l’immeuble!
    - Quoi? fit le père de Salomé d’une voix pâteuse en faisant irruption dans la pièce.
    - Tu n’es pas sourd tu m’as très bien entendu! Je suis sure que c’est la Petsek qui a appelé la police pour dénoncer les Fedaya…

    31 janvier 2012:

    La sonnerie de onze heures tira brutalement Salomé de ses sombres rêveries. Tandis que ses camarades allaient prendre leur pause dehors, elle s’étira en baillant discrètement et cocha la date du 31 janvier 2012 dans son agenda. Déjà six ans que la famille Fedaya avait quitté la France.
    A midi elle rentra chez elle au lieu d’aller à la cafeteria et s’isola dans sa chambre avec un plat préparé et une canette de soda en guise de déjeuner. Elle ne voulait voir personne et envoya promener sa mère qui s’inquiéta de son état de santé. Elle fit pivoter l’écran de l’ordinateur qui dégoulinait toujours du message menaçant laissé par Anon_330. Elle n’avait plus envie de rien sauf de fermer les yeux et de dormir le plus longtemps possible. Allongée sur son lit les bras en croix elle songea avec regret qu’elle avait peut-être grandi trop vite. Elle était jalouse de toutes ces filles semblables à Honey et Alice qui avaient gagné leur succès et leur popularité en se construisant à leur rythme. Salomé avait été déclarée dès l’enfance soi disant précoce mais elle n’en tirait aucune fierté car elle estimait que sa précocité était la source de tous ses problèmes; Elle voulut vérifier ses mails mais se rappela que sa mère lui avait confisqué son IPhone en plus de lui couper l’accès à Internet sans lequel sa tablette tactile devenait inutile.
    Elle consomma son déjeuner sans appétit et se posta à la fenêtre pour contempler le boulevard en contrebas. “Il me suffirait de …” pensa t elle amèrement en regardant un groupe d’adolescents passer en pleine discussion. Elle ne sut jamais quel genre de pulsion la poussa à ouvrir les battants et à se pencher dangereusement par dessus le balcon. Avant qu’elle comprenne ce qui lui arrivait elle perdit connaissance en s’écrasant face contre terre sur le trottoir.
    Dessiné à gros traits le monde tournait autour d’elle semblable à une esquisse inachevée. Elle flottait dans un état second au milieu de nuages cotonneux. C’était agréable cette sensation de quiétude qui lui commandait de se laisser aller en abandonnant son corps.
    - SALOME !! Hurla quelqu’un de loin.
    Ce cri de désespoir trancha les parois de l’univers cotonneux dans lequel elle s’apprêtait à disparaître.
    - Tu ne peux pas… tu ne dois pas mourir maintenant!!!
    Salomé lutta contre la torpeur qui envahissait ses membres.
    - Je t’en prie…
    Son corps tressauta lorsque l’air emplit à nouveau ses poumons. Ses yeux s’ouvrirent brusquement et pleurèrent aveuglés par la lumière et la pluie. Ses muscles désordonnés protestèrent lorsqu’elle voulut lentement se redresser. Une silhouette masculine se découpait en contre-jour au-dessus d’elle. Lorsque ses yeux firent la mise au point, elle entrevit à travers les trombes d’eau un jeune homme vêtu d’un sweat noir et dissimulé derrière un masque de théâtre impersonnel. Anon_330 en chair et en os!


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  • Comme vous l'aurez remarqué mon histoire parle beaucoup de nouvelles technologies et quelques termes techniques propres à l'univers de l'informatique s'y glissent mine de rien. Voici un récapitulatif de ceux qui pourraient vous surprendre et qui ont besoin d'être rapidement expliqués:  

    A  

    B  

    C  

    CHDSK: ou checkdisk. une procédure au démarrage qui consiste à vérifier si le disque dur n'est pas corrompu. peut prendre plusieurs heures car l'analyse se fait en profondeur sur l'ensemble des fichiers du système.  

    cheval de troie: virus redoutable qui peut mettre le bon fonctionnement du système en péril. il commence par agir au sein même de l'antivirus.  

    D  

    E  

    F  

    G  

    gestionnaire des tâches: interface depuis laquelle il est possible de déplanter un programme et d'optimiser les performances du système. on y accède par le raccourci clavier ctrl+alt+suppr  

    H  

    I  

    J  

    K  

    L  

    M  

    N  

    O  

    P  

    Q  

    R  

    S  

    T  

    U  

    unité centrale: ordinateur fixe de bureau sur lequel un écran doit être branché pour démarrer  

    V  

    W  

    X  

    Y  

    Z


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  • Sa mission était simple: mettre hors d'état de nuire A comme Arobase, le blog le plus populaire du moment, pour prouver au monde entier qu'Internet n'était qu'un amas de particules vides de sens. Constatant que sa première tentative avait échoué il passa à la phase offensive en insérant un cheval de Troie directement dans le code source. Un jeu d'enfant contre toute attente. Il hésita à abuser de la faiblesse de la propriétaire GirlyxGeek303 qui avait laissé béante une faille de sécurité aussi évidente. Puis il se rappela qu'il avait d'autres priorités et ricana intérieurement: le lendemain GirlyxGeek303 aurait une très mauvaise surprise en allumant son ordinateur.

    Encore assise à son bureau Salomé se réveilla en sursaut, le nez dans son clavier. Son radioréveil indiquait une heure du matin. Massant ses muscles ankylosés elle regarda sa dissertation inachevée posée dans un coin de sa table de travail. Le sujet intitulé "L'Europe dans la guerre froide (1947-1989)" ne l'inspirait pas et elle avait tellement pris de retard qu'elle avait à peine établi un plan cohérent. Il va sans dire que si sa mère ne l'avait pas privée d'Internet, tout serait plus facile et rédigé en moins d'une heure mais à présent elle ne pouvait compter que sur ses maigres connaissances, éventuellement sur l'aide d'Alice le cas échéant. En désespoir de cause elle alluma quand même son ordinateur au cas où elle pourrait se connecter à un réseau public.
    Malheureusement elle n'eut jamais l'occasion d'essayer: la machine rechignait à démarrer, le processus étant extrêmement long et lent à se mettre en branle. Lorsque le logo Windows s'afficha enfin elle eut un mince espoir que le système démarre correctement mais déchanta vite. S’ensuivit une série de lignes de code qui traversèrent l'écran à toute vitesse et cela ne ressemblait en rien à un CHDSK standard. Elle prit peur et enfonça de toutes ses forces le bouton d'alimentation de l'unité centrale en voulant forcer l'arrêt. Au lieu de cela l'ordinateur redémarra instantanément et elle sursauta de frayeur lorsque l'écran se bloqua tout à coup sur un message menaçant écrit en lettres écarlates sanguinolentes: "Anon_330 m'a tué".
    Blême elle cligna des yeux et posa à nouveau un regard halluciné sur l'écran, en proie à la pure panique. Le message était toujours là et la narguait depuis le centre de l'écran désormais figé. Elle essaya de redémarrer en mode sans échec, de diagnostiquer l'état des composants et du système, d'ouvrir le gestionnaire des tâches, en vain. Elle n'arrivait plus à réfléchir et pensa qu'il lui suffirait de dormir quelques heures pour constater que tout cela n'avait été qu'un mauvais rêve. Il était presque trois heures du matin lorsqu'elle se glissa dans son lit et s'endormit comme une masse, à bout de forces.

    A peine avait-elle franchi le portail du lycée à huit heures pile qu'Alice surgit de nulle part pour avoir une conversation sérieuse avec elle:
    - Il faut qu'on parle. Je ne peux pas te laisser partir à la dérive sans rien faire.
    - Bon sang tu ne vas pas t'y mettre toi non plus?! Rétorqua Salomé d'un ton agressif. D'abord Mme Pointcarré et la Petsek, ensuite ma mère. J'ai eu ma dose de reproches et de remontrances pour la semaine...
    - Rappelle toi que je suis la présidente du conseil des élèves et à ce titre j'en sais beaucoup plus que je ne le laisse paraître, l'interrompit Alice. Ce que j'essaye de te dire c'est que tu risques le conseil de discipline si tu continues à te laisser aller de la sorte. Si tu ne sais pas comment t'y prendre pour reprendre pied adresse toi à des adultes compétents au lieu de t'enfoncer dans une dépression précoce! On en passe tous par des périodes difficiles à l'adolescence mais ce qui fait la différence c'est la volonté de se sortir de cette crise passagère et le courage de se comporter en adulte en osant affronter l'inconnu.
    - C'est facile pour toi de dire cela. Tout te réussit donc tu crois pouvoir donner des conseils aux autres. Ca fait longtemps que je ne crois plus en ma bonne étoile...
    - Salut Alice! s'exclama une voix enjouée, lui coupant la parole.
    Honey, l'autre meilleure amie d'Alice, s'approcha des deux filles d'une démarche de mannequin. Elle représentait tout ce que Salomé aurait rêvé d'être: blonde avec de jolis reflets roux qui lui ensoleillaient le teint, adorable et amicale en toutes circonstances, douée dans tout ce qu'elle entreprenait. Ce matin là Honey était habillée d'une robe courte en dentelle surmontée d'une veste en jean denim, associée avec une paire de bottines en teinte camel à talons et un it bag rouge corail. Ses jambes étaient mises en valeur par un collant noir uni à demi opaque.
    En un mot elle était resplendissante comparée à Salomé qui était quant à elle engoncée dans un pull violacé retroussé aux manches et un jean flare délavé démodé.
    Les deux filles se détestaient cordialement et pour cause leurs caractères étaient diamétralement opposés, aux antipodes l'un de l'autre.
    - Oh tu traînes encore avec cette débile? Allez viens j'ai quelques potins intéressants à te raconter!
    - T'as raison, je perds mon temps avec elle à lui expliquer la vie.
    Furieuse Salomé voulut se défendre mais les deux lycéennes la laissèrent en plan s'empressant d'aller rejoindre leurs amies aux casiers avant le début des cours.

    A la pause Salomé consacra sa récréation à finir sa dissertation à toute vitesse en s'aidant de toutes les ressources qu'elle put trouver grâce à Wikipédia. Mais un quart d'heure n'aurait pas suffi pour rattraper une semaine de retard et la cloche sonna avant même qu'elle ait seulement commencé à rédiger l'introduction. Cela ne l'inquiéta guère, elle avait l'habitude de jouer avec la patience de ses professeurs en rendant systématiquement ses devoirs en retard, peu importe lesquels.
    Le cours suivant était un cours de philosophie. Tandis que ses camarades débattaient sur l'amour et l'amitié elle regarda pensivement les nuages par la fenêtre.
    En ce 31 janvier le ciel était gris et bas parsemé de rares éclaircies bleutées. Il se mettrait sûrement à pleuvoir sous peu. Un avion passa et elle s'intéressa à ce qui se passait dans la cour en contrebas. Elle haïssait les avions. Cela faisait remonter un vieux souvenir qu'elle n'était pas prête d'oublier.
    Le temps passe mais ne s'arrête jamais.


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