• La ville se parut peu à peu de ses couleurs nocturnes résonnant de la clameur de quelques fêtards enthousiastes profitant de leur première soirée d’été entre amis bien méritée après une année scolaire riche en rebondissements. Mais June ne se sentait pas d’humeur à partager cet esprit festif. Il s’enferma à clef dans l’espace clos de sa Twingo loin du vacarme extérieur. Seul le bourdonnement de l’autoradio diffusant les derniers tubes à la mode vint animer sa soirée morne et lui procurer du réconfort dans sa solitude. Il ne voulait parler ni voir personne et laissa le visage d’Isabella scintiller jusqu’à ce que son téléphone cesse de vibrer. Il coupa l’autoradio et s’installa dans le silence de la nuit laissant sa tête reposer contre le dossier du siège conducteur avec lassitude. Ces sentiments inavoués qu’il s’efforçait de refouler quelque part dans le registre des excès passionnels resurgirent au moment inopportun pour revenir tourmenter sa conscience.
    Il ralluma la musique qui lui procurait du réconfort dans sa solitude. Que faire ?

    Salomé ne revenait pas. Ne reviendrait peut être jamais.
    La gorge nouée June baissa le volume de la radio et se rencogna au fond du siège conducteur la tête posée contre le rebord de la vitre. La douce mélodie s’échappant des enceintes, l’air doux et parfumé d’une chaude nuit d’été, l’écho de la fête battant son plein en son absence firent céder le masque d’indifférence qu’il s’efforçait de laisser paraître aux yeux de son entourage. Une larme coula le long de sa joue, caressa ses lèvres raidies à force de retenir les sanglots qui menaçaient de submerger la digue, laissant sur sa langue le parfum doux-amer du remords. Il refusait de se l’avouer mais il se sentait immensément coupable d’avoir rejeté Salomé loin de son cœur sans se préoccuper des sentiments que la jeune fille elle-même témoignait à son égard. Lui qui l’avait secourue au bord du gouffre, lui avait redonné le goût de vivre par son optimisme et son sourire, soutenue et conseillée comme s’il avait été son grand frère s’apprêtait à trahir sans scrupules la confiance presque enfantine avec laquelle elle l’avait considéré comme son ami dès leur première rencontre.
    Il sentait encore la peau de sa joue tressaillir là où Salomé l’avait violemment giflé.

    La soirée touchait à sa fin, dans l’enthousiasme des embrassades en proposant de finir la soirée chez les uns et chez les autres. Par petits groupes les convives se dispersèrent en se promettant d’organiser des vacances entre amis avant l’heure du grand départ vers les études supérieures.
    June remonta l’allée du parc d’un pas décidé, chercha Salomé du regard mais elle demeura introuvable. Il sentit ses jambes se dérober et s’assit sur un banc pour reprendre ses esprits.
    - Tu as l’air de chercher quelqu’un, as tu besoin d’aide ?
    Pris par surprise June sursauta et leva les yeux. Une jolie fille brune aux yeux noisette habillée d’une robe de soirée bleu nuit le dévisageait avec curiosité. Elle lui sourit amicalement :
    - Je peux m’asseoir ?
    Etonné par sa témérité June pensa qu’il était indélicat de parler de ses problèmes de cœur avec une inconnue mais accepta néanmoins sa proposition.
    - Je te reconnais ! Tu es le garçon de tout à l’heure qui a quitté le bal trop tôt, n’est ce pas ?
    - Appelle moi June.
    - Moi c’est Alice, je suis une amie d’enfance de Salomé, pour ne pas dire sa seule amie, soyons honnêtes.
    - Parle moi d’elle, plutôt de vous.
    - Elle, Hakim et moi sommes rencontrés sur les bancs de l’école primaire et depuis nous avons grandi presque côte à côte jusqu’à ce que le destin en décide autrement: auparavant nous étions quasi inséparables, après le drame tout a changé.
    - Salomé ne me l’avait pas raconté sous cet angle.
    - Si tu la connais un peu, tu as sûrement remarqué qu’elle se confie rarement aux autres, même à ses amis les plus proches. Au fil du temps elle s’est enfermée peu à peu dans sa chrysalide en générant un double virtuel d’elle-même en la personne de GirlyxGeek toujours enjouée et passionnée de nouvelles technologies, ce qui n'a fait que l'isoler davantage du monde extérieur. Je dirais même que cela l’a maintenue au bord du gouffre un certain temps au lieu de l’aider à se sentir mieux dans sa peau… et voilà le résultat.
    June soupira avec lassitude. Il alluma une cigarette en regardant pensivement la fumée former des volutes dans le clair de lune.
    - Tu es du genre romantique, hein ?
    - Hein ? Quoi ? June s’exclama les joues écarlates, embarrassé.
    - Ne fais pas l’idiot, je vois clair dans ton jeu.
    - Ce… ce n’est pas ce que tu crois ! Je suis… en relation libre avec… quelqu’un…
    - Vraiment ? Tu as l’air de celui qui refuse d’admettre une réalité pourtant évidente  alors que je viens de te prendre sur le fait !
    June écrasa sa cigarette et esquissa un sourire pâle : « Alors je ne suis pas bon comédien. » Alice haussa les épaules en glissant dans sa poche arrière une serviette en papier froissée :
    - Peut être que tu te mens à toi même en fin de compte. La bonne fée Alice t’offre une seconde chance pour te racheter, c’est l’opportunité d’un soir pour tout recommencer.
    Perplexe, June jeta un regard en coin au morceau de papier usé qu’elle lui avait remis. Dessus des nombres et des lettres étaient inscrits au feutre noir à la va-vite, à peine lisibles.
    - Va, tu me remercieras plus tard !

    Vingt-trois heures trente.
    June se mit à courir comme il n’avait jamais couru de sa vie. Médusés les passants du soir se retournaient vers lui pour dévisager avec curiosité ce jeune homme qui courait à perdre haleine le long du boulevard, au bord des larmes. Il progressait hors du temps et de l’espace, ignorant tantôt les klaxons répétés d’un automobiliste qui manqua de le heurter, tantôt la distance qui le séparait de la maison de Salomé dont il ne trouvait pas l’adresse.

    Minuit quinze.
    A bout de souffle June frappa doucement à la porte d’entrée et recula d’un pas. Un homme entre deux âges au physique trapu vint lui ouvrir :
    - Qu’est ce qui vous amène au beau milieu de la nuit jeune homme ? Qui êtes vous ?
    Incapable de soutenir son regard June baissa les yeux. De honte il tenta de battre en retraite :
    - Je… Je cherche la maison d’une amie mais je me suis trompé d’adresse. Passez une bonne soirée et … désolé du dérangement, balbutia le jeune homme d’une voix faible.
    - Papa, qui-est ce ?
    Drapée d’une robe de chambre molletonnée nouée à la taille Salomé apparut dans le vestibule, l’air d’avoir été réveillée en sursaut par une visite inopportune. Ses yeux s’écarquillèrent de stupéfaction lorsqu’elle vit June debout dans l’embrasure. Il esquissa un sourire contrit :
    - Je t’ai cherchée partout. Il faut qu’on rentre à l’appartement maintenant sinon les autres vont s’inquiéter de notre absence prolongée tard dans la nuit.
    - Je ne rentre pas.
    - Quoi ?
    - J’ai passé un contrat avec mes parents avant de partir en internat. Je devais revenir à la maison pour les vacances d’été dès la fin des cours pour me détendre et me préparer aux études universitaires.
    - Mais je pensais… Pourquoi ne m’as tu rien dit à ce propos ?
    - Je ne voulais pas… te blesser. Tu m’as tant donné pour me convaincre de prendre la vie du bon côté en regardant vers l’avenir au lieu de m’appesantir sur le passé, m’assurant un soutien sans faille quand j’avais besoin de me sentir aimée. Et j’avais si peu à offrir en retour. J’ai voulu bien faire en acceptant de travailler comme modératrice mais maintenant je réalise que c’était peut être idiot parce je ne pouvais pas tenir mes engagements sur le long terme autant que je l’aurais voulu. Je suis désolée June, sincèrement désolée mais nos routes se séparent ici même pour ton bien et le bien de l’équipe et… je reviendrais demain ou après demain pour récupérer mes affaires… J’ai été heureuse de travailler avec toi et je vous souhaite à tous bonne chance pour la suite… l’aventure continue c’est ce qu’on dit, n’est ce pas ?
    June ne l’écoutait plus, la gorge serrée. Il secoua la tête pour tenter vainement de maitriser son émotion :
    - C’est de ma faute… Dis moi que tout est de ma faute et je l’admettrais volontiers.
    - Tu ne dois pas te sentir coupable. C’est ma vie, avec ses succès et ses déboires, qui en a décidé ainsi. On se connaît à peine et je ne t’ai pas tout raconté à propos de mon passé. Sinon je me serais comportée avec égoïsme. La pauvre petite lycéenne en détresse qui cherche à se faire un ami à tout prix pour retrouver le goût de vivre. Tu aurais voulu de moi si tel avait été le cas ?
    Silencieux June baissa la tête. Lentement il se rapprocha de la jeune fille, les jambes tremblantes. Ne sachant pas comment lui présenter correctement ses excuses, hésitant sur la manière dont lui confier ces sentiments longtemps refoulés qui le remplissaient à la fois de tristesse et de tendresse en sa présence, il la prit dans ses bras, le front posé au creux de son épaule:
    - Je te demande pardon Salomé, murmura-t-il au bord des larmes.
    - Qu’as tu à te faire pardonner ? s’enquit la jeune fille en se libérant de son étreinte, les joues enflammées, gênée par le tournant que prenait soudainement leur conversation.
    - Je ne suis pas ce genre d’ami. Je t’aurais écoutée, voire conseillée dans la mesure de mes capacités, à l’aide de mon expérience personnelle. En tous cas je ne t’aurais pas regardée tomber dans le gouffre sans intervenir pour t’aider à remonter la pente.

    Salomé n’aurait pu déceler la timidité de June. Il faisait de son mieux pour la dissimuler en se montrant systématiquement enjoué et jovial aux yeux d’autrui. Elle le fit entrer et l’invita à enlever ses chaussures :
    - Maintenant que tu es là, je te propose de rester dormir ici pour la nuit au lieu de chercher un hôtel.
    - C’est gentil de ta part mais tes parents vont-ils accepter ma présence sous leur toit ?
    Salomé haussa les épaules :
    - Demain je leur expliquerai qu’on s’est rencontré peu de temps après mon arrivée à l’internat et qu’on est devenus des amis proches au fil du temps.
    - J’imagine leur réaction quand ils verront un jeune homme de vingt ans et leur fille quatre ans plus jeune descendre dans la cuisine ensemble pour le petit déjeuner comme si de rien n’était.
    - D’une certaine manière tu n’as pas tort mais j’ai l’âge d’assumer mes choix, entre autres vivre ma vie comme je l’entends, avec qui et comment
    - Décidément tu es un drôle de spécimen. Si timide et si fragile mais décidée à prendre ton indépendance peu importe les risques que tu encoures.
    Salomé gloussa discrètement :
    - Quels risques ? Je n’ai pas à me reprocher d’apprécier un jeune homme un peu plus âgé que moi avec qui je partage la majeure partie de mon temps libre et une passion commune pour l’informatique depuis trois mois.
    - Je suis heureux de l’entendre, June lui murmura tendrement à l’oreille en esquissant un sourire amical.
    Salomé lui sourit à son tour, un sourire chaleureux, sereinement. Il lui ouvrit les bras, l’autorisant à se blottir contre son torse solide pour y trouver le réconfort dont elle avait besoin sans vouloir se l’admettre à elle-même.
    - Je ne souhaite que ton bonheur, et j’accepterais aussi que tu veuilles te réconcilier avec Hakim Fedaya si tu le désires vraiment.

    Hakim se laissa tomber dans son sofa et alluma son ordinateur pour visionner les photos d’il y a six ans au temps où lui et Salomé se considéraient mutuellement comme meilleurs amis. Désormais le temps des soirées lecture pelotonnés au creux du canapé et les glaces au bord de la mer à l’occasion des vacances était révolu. il lui faudrait abandonner cette part d’innocence qui l’avait persuadé que renouer avec un amour d’enfance était encore possible six ans plus tard mais cela prendrait encore un certain nombre d’années. Il devait se rendre à l’évidence que chacun d’eux avait changé au fil du temps en prenant des chemins différents. Peut être que rester seulement bon amis était la meilleure façon de se retrouver après une séparation forcée de six ans sur laquelle il était encore difficile de tourner la page.
    Les semaines s’écoulèrent lentement dans une torpeur insupportable qui ne laissa aux consciences coupables ni satisfaction ni apaisement de pouvoir enfin profiter pleinement des vacances d’été. Trop lourd était le poids des remords pour être ignoré ou du moins vite oublié. C’était sans compter sur l’intervention de Xavier et Leia qui, en observateurs avisés, notèrent le changement radical dans le comportement de Salomé au fil des jours alors qu’elle s’adonnait avec entrain aux derniers préparatifs de sa future rentrée universitaire. Ils avaient peine à croire qu’en l’espace de six mois l’adolescente au bord du suicide s’était transformée en future étudiante enjouée comme par enchantement.


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  • livreAprès un peu plus d'un an d'absence je suis finalement de retour! :)
    Le fait que je travaille sur plusieurs projets à la fois est l'une des raisons pour lesquelles le site est resté en suspens pour un certain temps mais je vais continuer et terminer d'écrire A comme Arobase à partir de maintenant.
    Avant tout j'aimerais vous remercier pour être plus de 9000 à ce jour à suivre l'activité du blog et pour les plus patients je vais tenter d'être plus régulière dans la rédaction des chapitres à venir mais j'ai beaucoup à faire en ce moment :)

    Par où commencer?
    D'abord l'organisation/réorganisation du site. Rien n'a particulièrement changé en profondeur mais j'ai amélioré l'ergonomie des menus. Désormais les chapitres sont classés par catégories de cinq dans lesquelles vous pouvez facilement naviguer grâce au sommaire. Une nouvelle catégorie Actualités contient les annonces et news diverses concernant l'administration du blog. Une table des matières permettra de suivre la progression des chapitres comme avant.
    Par ailleurs j'ai rafraîchi la maquette pour fêter la réouverture du site :)A propos de l'histoire elle-même, je vais la continuer bien sûr mais étant étudiante désormais, j'ai beaucoup de travail donc je ne vous promets pas que de nouveaux chapitres seront souvent publiés mais je vais tenter de rendre l'attente moins longue ^^'
    Ceci étant je ne reviens pas les mains vides car je m'en vais publier le chapitre 15 après avoir rédigé ce post, :p
    Celui ci clôt plus ou moins la première partie du roman qui relatait les années lycée de Salomé, la seconde devrait commencer après son obtention du bac et quelques semaines après la soirée de remise des diplômes qui tourne (quelque peu) vinaigre mais cela je vous laisse le découvrir dans la suite de l'histoire! ;)

    Il me reste à vous souhaiter bon weekend et bonne lecture, quant à moi je me remets à écrire! :D


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