• Le dimanche soir le paysage télévisuel était d’un mortel ennui, seule une comédie romantique légère et insouciante se détachait du lot mais Hakim n’était pas d’humeur à partager cette joie et cette innocence. Dévasté il se recroquevilla sur lui même le front dans les mains, les genoux remontés contre le buste. Le cœur au bord d’imploser il éclata en sanglots et aurait bien été incapable de contenir ses larmes une fois de plus.
    Le plus douloureux était ce sentiment insurmontable de profond regret car malgré toutes les épreuves qu’ensemble lui et Salomé avaient surmonté pour se retrouver il nourrissait l’espoir secret de la voir revenir vers lui un jour. Elle l’aimait c’était indéniable mais ne mesurait pas combien cet amour était réciproque en retour et même bien au delà de ce que la raison pouvait envisager. Il l’avait blessée, elle le faisait souffrir davantage en feignant de l’ignorer alors qu’il lui avait présenté avec émoi ses excuses les plus sincères.Il sortit sur le balcon griller une cigarette. L’air du soir était calme mais en rien paisible propice à la mélancolie. Il sentait l’enfant triste et nostalgique remonter à la surface. Sa mémoire faisait ressurgir des souvenirs qu’il aurait préféré oublier.
    Ce terrible sentiment d’injustice lorsque la police était descendue à l’appartement en pleine nuit. La séparation forcée et le remords de ne pas avoir revu Salomé une dernière fois avant le départ. Se prendre d’affection pour une ville qu’il ne connaissait pas dans un pays où il se sentait étranger, un nouvel environnement dans lequel il allait grandir par la suite sans enthousiasme. C’était plus que ses nerfs ne pouvaient supporter et il s’abandonna à son chagrin intérieur en signe de reddition.
    Il s’effondra en travers de son sofa les bras en croix les joues brûlantes à force de pleurer. Il ne sut combien d’heures il resta prostré dans cette position au bord du gouffre. La caresse du soleil sur sa nuque le réveilla. Il se releva et fit face courageusement à son piteux reflet dans le miroir de la salle de bains. La peau de ses joues était tirée d’avoir trop pleuré. Ses yeux étaient gonflés et cernés de rouge, sans éclat. Il s’aspergea le visage d’eau glacée pour remettre ses idées en ordre et considérer rationnellement la situation et les possibilités de rédemption qui s’offraient à lui que ce soit pour tenter de reconstruire une relation stable avec Salomé ou admettre qu’ils n’étaient pas faits pour vivre ensemble.

    Salomé se réveilla à l’aube. Elle se doucha, s’habilla un peu plus soigneusement que d’ordinaire et se maquilla légèrement. Elle remit de l’ordre dans sa valise boucla son sac de cours et fut fin prête pour partir sur de nouvelles bases. Elle consulta ses mails en savourant son petit déjeuner. Elle se permit de sourire et elle en avait tout à fait le droit car June avait tenu sa promesse alors qu’ils se connaissaient à peine. En effet il l’avait promue modératrice de la section Nouvelles technologies et cela lui plaisait de rester en phase avec un univers familier au moment de sauter à pieds joints dans l’inconnu. L’internat n’était pas censé être un lieu angoissant mais chamboulait tous ses repères.

    Leia prépara le café pour deux. Xavier parut dans la cuisine en réajustant son nœud de cravate. Aucun des deux ne parla mais les mots étaient inutiles car chacun savait ce que pensait l’autre sans avoir à s’en enquérir verbalement.
    La radio annonça la venue des premiers soleils. 

    Bien que la plupart des élèves eussent été auparavant indifférents à la présence ou l’absence de Salomé, la chaise vide au fond de la salle de classe de maths à 8h leur laissa une drôle d’impression comme une sorte de nostalgie. Salomé avait ce côté atypique irremplaçable qui en faisait rire certains, laissaient d’autres indifférents ou éprouver de la compassion pour Alice qui connaissait Salomé mieux que personne dans le lycée. Quand à Madame Pointcarré elle n’avait plus le grappin sur sa proie favorite pour corriger les exercices au tableau.Globalement l’incompréhension surmonta tous les autres sentiments à l’égard de Salomé. Elle qui était petite travailleuse mais assidue n’avait pas l’habitude de s’illustrer par ses absences ou même ses retards.
    Mais l’ambiance n’était pas aux regrets car les conversations allaient bon train. La rumeur courait comme une traînée de poudre que la terminale ES1 s’apprêtait à accueillir un nouvel élève. Les spéculations les plus farfelues étaient de mise quant à savoir pourquoi il changeait de lycée au mois de mars, était ce un garçon ou une fille, quel genre de soirée d’accueil organiser pour lui souhaiter la bienvenue.. La cloche sonna. Tous les regards se tournèrent vers la porte. La directrice entra un dossier à la main qu’elle déposa sur le bureau de Madame Pointcarré en lui signifiant qu’il s’agissait du livret scolaire du nouvel arrivant.
    - Comme vous devez déjà le savoir compte tenu du niveau sonore de vos bavardages, je vous prie d’accueillir comme il se doit un nouvel élève dans votre classe.
    Un jeune homme au physique assuré entra à sa suite, vêtu d’un jean et d’un sweat noir. Il rabattit sa capuche en arrière et recoiffa ses cheveux noirs de jais en dévisageant d’un air désabusé l’assemblée qui lui faisait face :
    - Je m’appelle Hakim Fedaya.

    - Je m’appelle Salomé Kluster.
    Salomé rougit légèrement en faisant les présentations. Il était autrement plus intimidant d’être la nouvelle élève face à trente étudiants qui se connaissaient et travaillaient ensemble depuis sept mois déjà que de simplement passer au tableau. C’est presque comme si elle ne se sentait pas à sa place. Ses parents lui avaient promis que l’internat était une expérience épanouissante pour quiconque mais elle percevait davantage ce nouveau départ comme une sanction. Monsieur Lambert qui était à la fois son professeur de maths et son prof principal la fit asseoir au premier rang à côté d’Arthur la tète pensante de la classe au lieu de l’envoyer au fond alors que Salomé aurait de loin préféré ne pas être le centre de l’attention générale et aller s’isoler à une table solitaire où personne ne viendrait la déranger comme à l’ordinaire.

    - Bienvenue Hakim, va vite t’asseoir le cours va commencer, Madame Pointcarré déclara.
    Hakim parcourut la salle de cours du regard. Toutes les tables étaient occupées même au premier rang.
    - Il y a une table à l’écart au fond, si tu l’as rapproches suffisamment tu pourras aisément suivre le cours sans te sentir seul pour autant, lui souffla Honey à son passage.
    - Honey ! Siffla Alice presque sur un ton de reproche en la poussant du coude.
    Madame Pointcarré pencha la tête d’un air perplexe en dévisageant Alice :
    - Quel est le problème mademoiselle ?
    - Je suis la déléguée de classe madame et je ne tolère pas de moqueries à l’égard de camarades présents ou absents par d’autres camarades.
    Un ange passa. Interloqués tous les regards étudièrent Alice de la tête aux pieds attendant avec une crainte palpable la réaction de Honey qui ne manquerait pas d’être terrible. Honey afficha un petit sourire en coin satisfait :
    - Que dis tu là Alice ! Que suis je censée y comprendre ?
    - Va savoir. Mais j’ai des yeux et des oreilles partout même là où tu t’y attends le moins, gare à toi si tu prononces un mot de travers.
    Madame Pointcarré frappa dans ses mains comme si cela avait pu faire cesser comme par magie cette petite altercation :
    - Et si nous commencions le cours ?

    - Pour calculer le coefficient directeur de la fonction g(x) vous appliquerez la formule y= y(B)-y(A)/x(B)-x(A). J’enverrais quelqu’un au tableau pour calculer b.
    Le rythme fut moins soutenu et le niveau moins difficile que Salomé s’y attendait. Il faut dire qu’au retour des vacances d’hiver Monsieur Lambert aimait proposer à ses élèves quelques séances de révision pour s’assurer que les acquis demeuraient solides avec constance.La première heure passa plus vite que prévu et fut un succès pour Salomé qui put suivre plus facilement le fil des explications en posant des questions de temps à autre ce qui ne lui aurait pas effleuré l’idée si le professeur avait été la Pointcarré.

    Lorsque la prochaine cloche annonça l’heure de la pause, les élèves se dispersèrent pour profiter de la douceur des premiers jours du printemps. Honey fit le premier pas et vint donc à la rencontre de Hakim :
    - Tu viens ? Ne fais pas attention aux sautes d’humeur d’Alice elle est gentille au fond.
    Hakim pensa qu’elle devait avoir raison, après tout Honey et Alice semblaient en bons termes, comme dit le fameux adage qui aime ben châtie bien. Il s’engagea à sa suite sur la passerelle menant au fumoir où Honey et sa bande d’amis avaient l’habitude de se donner rendez vous pour griller une cigarette entre deux cours. Honey était rayonnante. Ses yeux pétillaient d’ingéniosité. Son sourire était solaire. Ses cheveux dorés comme les blés ondulaient nonchalamment le long de ses épaules. Elle en imposait rien que par sa présence qui n’en laissait aucun indifférent grâce à son charisme inné qui tenait pour l’essentiel à son regard magnétique mais un regard qui voulait tout dire sans détours. Même s’il l’avait voulu il n’aurait pas pu détourner les yeux de ses formes généreuses et de son déhanché dansant. Il était totalement hypnotisé par le charme sensuel de cette fille que pourtant il connaissait à peine mais avait l’impression d’avoir toujours attendu.
    Une main s’abattit sur son épaule pour le ramener à la réalité :
    - La prof aimerait te parler, déclara d’un ton abrupt la voix d’Alice dans son dos.
    Le charme était rompu. Il se retourna. Alice le dévisageait les poings sur les hanches et fit signe à Honey qu’ils les rejoindraient un peu plus tard. Hakim voulut protester mais Alice ne lui en laissa pas le temps et l’entraîna à l’écart par le bras.
    - Qu’est – qu’est ce que tu me veux ?
    Alice s’assura que Honey était à une distance suffisante pour ne pas les entendre et se tourna à nouveau vers Hakim :
    - Je tiens simplement à te mettre en garde. Honey est la fille la plus populaire du lycée et malheur à celui qui lui refuserait quelque chose car elle est suffisamment influente pour briser la réputation de quelqu’un d’un seul mot ou d’un seul geste. Garde les pieds sur terre et la tête lucide c’est le meilleur conseil que je puisse te donner ou tu succomberas en un rien de temps au chant des sirènes avant même de t’en apercevoir. Tu es soit son ami soit son ennemi et il n’y a pas de demi mesure. Tu comprends ce que cela signifie, n’est ce pas ?
    - Oui… enfin non je ne la connais pas assez pour juger.
    - Elle a le pouvoir de tourner n’importe quel paradis en enfer terrible. Rares sont ceux qui la côtoient qui connaissent un tel sort car ils sont prudents et savent à quoi s’en tenir à son propos mais de ceux et celles qu’elle a détruits beaucoup ont connu les abysses insondables de la solitude la plus amère. A toi de choisir ton camp, sachant que tu devras faire le choix qui semble le plus raisonnable à ta conscience tôt ou tard. Sache que toute offensive ayant recours à un concours de popularité ne fonctionne pas avec elle car d’une manière ou d’une autre elle gagne la partie à chaque fois quoi qu'il arrive. Une seule a essayé de lever l’étendard de la révolution pour protester contre l’attitude d’Honey mais elle s’en est mordu les doigts par la suite tant elle a souffert : la vengeance d’Honey a été terrible.
    Entendre ces mots laissa un goût désagréable dans la gorge d’Hakim qui se sentit soudain pris au piège. 

    A la pause Salomé sortit dans le couloir se dégourdir les jambes. Elle regarda la cour de l’internat par la fenêtre. C’était une cour large, ensoleillée où il faisait bon se détendre à l’arrivée des beaux jours. Mais seuls ceux qui avaient des amis, des vrais amis avec lesquels papoter et rigoler en toute insouciance pouvaient prétendre à ce luxe. Du moins pour l’instant elle ne bénéficiait pas d’un tel privilège. Elle pensa à June. Mais s’en faire un ami ou un collègue était chose différente : elle pouvait très bien exercer ses fonctions de modératrice sans jamais le rencontrer de nouveau ou seulement par écran interposé. D’autant plus qu’il pouvait disposer d’elle à tout moment selon son humeur ou ses caprices ou encore au moindre faux pas. Sa vie lui sembla bien morne et bien triste : que faire sans un cercle d’amis sur qui compter dans les bons comme dans les mauvais moments ?

    June prit son service à dix heures. Il pensa à Salomé en vérifiant les billets des uns, en remplissant les amendes des autres. Décidément cette fille était étrange mais avait un caractère intéressant. Il ne pouvait perçer à jour ses intentions mais il se doutait que quelque chose n’allait pas. Sa notoriété sur Internet et sa timidité dans la vie réelle n’étaient pas compatibles. Il fallait au plus vite que cette situation de paradoxe cesse, mais comment ?


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  • Hakim ne tarda pas à se faire remarquer dès la pause déjeuner. A la cafétéria Honey insista pour le présenter à sa bande d’amis. Ce furent des gens charmants, garçons et filles qui accueillirent Hakim avec un enthousiasme sincère. Lui se sentait mal à l’aise à cause du comportement suggestif d’Honey qui ne cessa de lui faire des clins d’œil complices en jouant du pied en croquant l’air de rien dans son sandwich Ils le firent parler de ce qu’il pensait du lycée et des cours, de son passé puis Honey osa aborder la question de ses relations amoureuses :
    - Tu as quelqu’un dans ta vie ?
    Hakim sentit sa gorge se serrer. Il déglutit avec difficulté et avala une autre gorgée de Coca. Son silence intrigua Honey qui ne jugeait pas pourtant la question délicate dans la manière dont elle l’avait posée.
    - Je suis célibataire en ce moment, avoua t il dans un filet de voix au bord des larmes.
    Il vida son plateau et ramassa son sac.
    - On se voit tout à l’heure en cours.
    Alice se leva à son tour en fusillant Honey du regard.
    - Attends je t’accompagne tu n’as sûrement pas encore eu le temps de visiter le lycée.
    - Alice rien ne presse tu ne devrais pas le brusquer, Honey commenta.
    - J’ai besoin d’être seul. Je vais fumer une cigarette et je reviens pour quatorze heures.

    En écoutant le cours d’anglais d’une oreille Alice dévisagea Hakim à la dérobée avec curiosité. Il était penché sur sa feuille résolument déterminé à finir la première salve d’exercices de vocabulaire sans se préoccuper de ce qui se passait aux alentours. Son crayon à papier s’enfonçait profondément dans la trame du papier jusqu’à percer la feuille par endroits. Il était sans doute d’un tempérament nerveux à en juger par son étrange comportement mais il n’y avait pas de quoi paniquer pour quelques séries de mots à traduire d’autant plus que l’exercice n’était pas noté. Se sentant observé il releva la tête. Alice eut tout juste le temps de se retourner pour passer inaperçue. Elle se replongea dans sa feuille et fit semblant d’être concentrée sur un mot délicat à traduire. Elle s’était trompée sur toute la ligne : ce n’était pas de la nervosité mais une profonde détresse qu’elle lisait dans son regard, un désespoir sans issue et cela lui remplissait le cœur d’angoisse pour une raison indéterminée.
    Elle se tourna vers Honey qui écrivait avec nonchalance les réponses du dernier exercice d’une écriture d’artiste. Qu’avait elle dit ou fait pour le blesser à ce point ? Dieu sait elle ne posait jamais de questions tout à fait innocentes mais visiblement le célibat de Hakim était affaire hautement sensible. Alice soupira avec lassitude. A force de convoiter la quasi totalité des garçons du lycée Honey n’était pas délicate lorsqu’elle avait des vues sur quelqu’un en particulier au risque de s’en faire un petit ami si l’intéressé se laissait faire ou un souffre douleur si le malheureux s’aventurait à refuser ses avances. Hakim était bien parti pour intégrer la seconde catégorie malheureusement pour lui. C’était quelque chose que l’ingéniosité de Honey qui changeait de petit ami comme de chemise au gré de ses caprices. Quand la cloche sonna Hakim quitta la salle de cours d’un pas précipité avant qu’Alice n’’ait le temps de le rattraper pour lui parler en privé.
    Elle avait cinq minutes devant elle pour le retrouver et essayer de le ramener à la raison mais quelle raison elle ne savait toujours pas ce qui le perturbait au point de vouloir s’isoler face à lui même. La cour de récréation était déserte à cette heure et elle jeta un regard circulaire autour des bâtiments. Elle le découvrit recroquevillé au fond du préau au niveau du banc les genoux remontés contre la poitrine. Elle se dissimula derrière un pilier pour masquer sa présence et l’épier à la fois.
    - Tu veux me parler Alice ? Je n’ai rien à cacher tu sais.
    Alice sursauta et vint à sa rencontre avec un sourire avenant :
    - J’aimerais savoir ce qui te rend triste au point de te réfugier dans la solitude pour noyer ton désespoir.
    - Alors ça se voit tant que ça, n’est ce pas ? Nous avions tout pour devenir un couple heureux mais elle est partie parce que j’ai tout gâché entre nous et même les excuses que je n’ai eu de cesse de vouloir lui présenter elle n’a pas cessé de les refuser les unes après les autres. Je n’ai pas eu le courage de la retenir qu’elle était déjà partie trop loin. Loin des yeux, loin du cœur mais j’aurais aimé ne jamais avoir à comprendre pleinement le sens de ce proverbe.
    - Que puis je faire pour t’aider ?
    - Rien en toute honnêteté.
    - Tu devrais peut être parler à la psychologue elle pourrait t’aider.
    - Elle ne ferait que rester sans réponse à écouter mes malheurs
    - Peux tu m’en dire plus si ce n’est pas indiscret ?
    La cloche sonna le début du cours suivant.
    - Rejoins moi tout à l’heure au portail, on ira boire un verre au café d’en face ce sera l’occasion de discuter librement.

    Comme promis Hakim et Alice se retrouvèrent au niveau de la sortie et traversèrent le boulevard pour atteindre un petit café de quartier sans prétention. Ils commandèrent deux bières et s’installèrent à une table d’angle face au boulevard. Après un moment de silence Alice parla la première :
    - Tu peux tout me dire.
    - Je ne crois pas. Volontiers si je pouvais avoir la garantie que tu ne répéteras rien à tes amies et surtout pas Honey.
    - Après ce qui s’est passé ce midi tu vas être le centre d’attention de toutes les rumeurs et je ne veux pas que tu en subisses les conséquences collatérales.
    - La rumeur part et revient, au bout d’un moment je finirais forcément par retomber dans l’anonymat et puis je ne veux pas que des potins de couloir courent sur moi parce que quelqu’un va se mettre à poster des propos ou des photos compromettants me concernant sur Internet.
    - Je ferais en sorte que cela n’arrive jamais, après tout je suis déléguée de classe.
    - Les autres t’écouteront ou pas tu ne pourras empêcher personne de vouloir se moquer d’un nouveau camarade solitaire au comportement étrange.
    - Tu ne dois pas tendre la joue en te rabaissant ainsi Hakim. Tu vis apparemment un passage difficile en amour mais je suis sûre que tu es capable de remonter la pente d’une manière ou d’une autre. Tu as déjà eu le courage d’assumer tes erreurs en présentant des excuses.
    - Je me suis imaginé qu’une relation était possible mais non.
    - Dis toi qu’un amour de jeunesse est toujours un beau conte de fées qui s’éteint un jour ou l’autre et qu’il faut se tourner vers l’avenir au lieu de ruminer le passé pour voir le bon côté des choses.
    - A supposer que je sois trop rêveur ou trop idéaliste… Hakim soupira en buvant une gorgée de bière.
    - Juste amoureux j’imagine, Alice répondit avec un clin d’œil.
    - C’est que je manque d’expérience dans ce domaine alors.
    Alice haussa les épaules et chercha de la monnaie dans son portefeuille. Hakim arrêta son geste :
    - C’est moi qui paye la tournée, ce fut un plaisir de boire un verre avec toi.
    Alice rougit légèrement et chercha son agenda pour cacher sa confusion :
    - Je vais te donner mon numéro. Si tu as le moindre souci à l’avenir n’hésite pas à m’appeler car seul on reste sans réponse face aux situations et aux problèmes qui nous angoissent.
    - Tu ferais une bonne psychologue.
    - Je suis juste une déléguée de classe soucieuse de conserver l’harmonie et la cohésion au sein du groupe en essayant de régler pacifiquement les différends en amont et de pourvoir à la bonne intégration de tous les élèves. Je dis bien essayer car malgré tous mes efforts, il est parfois difficile de parvenir à maintenir une atmosphère de bonne entente entre tous.C’est pourquoi je n’ai pas cessé et je ne cesserais pas de te mettre en garde concernant Honey car son jeu favori est de briser les cœurs.
    - Je continue à croire qu’elle n’est pas si mauvaise que tu me l’as décrit au fond d’elle même.
    - Méfie toi, c’est mon meilleur conseil.
    Ils se levèrent et marchèrent le long du boulevard à la recherche d’une station de bus.
    - Au fait où habites tu ? S’enquit Alice.
    - Je vis seul dans un appartement pas très loin d’ici d’ailleurs. Du coup je viens en cours à pied.
    - Tu as de la chance.
    - En quelque sorte oui mais vivre seul et être solitaire ce n’est pas la même chose. En général je me retrouve face à moi même et je déprime à force de n’avoir personne à qui parler. Heureusement que le Web existe parce que sinon ma vie serait bien triste. Ainsi je peux rester en contact à distance avec mes amis et ma famille.
    - Ah bon ? Où sont ils ?
    - Ils sont restés au pays. Je suis revenu en France pour chercher un boulot stable qui me permette de vivre correctement. Là actuellement je fais des petits boulots par ci par là le weekend pour me constituer un niveau de ressources correct et payer mon loyer. Dans l’idéal j’aimerais revenir dans le passé, que tout soit comme avant mais c’est un rêve d’enfant depuis longtemps révolu.
    - Tu fais preuve d’une persévérance admirable pour quelqu’un qui n’a pas l’air de s’en sortir facilement tous les jours.
    Elle regarda son bus arriver au loin :
    - Dis toi que demain sera un jour meilleur et cesse de marcher à reculons vers le passé.
    - Je vais essayer tout au plus.
    Alice poussa la porte automatique du bus :
    - Nos chemins se séparent ici je dois rentrer tôt ce soir. On se voit demain à huit heures.
    - D’accord, à demain passe une bonne soirée.

    Le soir arriva vite. Salomé se plia sans broncher aux contraintes de la vie en internat qui composaient les exigences de la vie en communauté. Une heure de permanence était allouée aux élèves pour faire leurs devoirs et elle se révéla plus efficace que si elle s’était retrouvée chez elle devant son bureau avec son ordinateur à portée de main. Elle réalisa qu’elle se coulait peu à peu dans la foule des élèves. Au milieu des groupes bavards en permanence, de la file d’attente devant le réfectoire pour le dîner puis des filles de l’étage qui se pressaient dans la salle de bains commune les unes pour se démaquiller les autres pour se laver les dents elle passa inaperçue et redevint une fille anonyme, celle qui n’attire pas l’attention ni les moqueries comme elle l’avait été dans les premiers mois de sa vie de lycéenne quand elle venait d’arriver dans son ancien lycée. Une fille sans histoires un peu étrange, un peu solitaire qui si elle avait la chance de se faire davantage d’amis pourrait prétendre à une vie heureuse. D’un pas désenchanté et morose elle traîna sa valise le long du couloir et parvint avant de s’en apercevoir devant la porte de sa chambre.


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  • Il y avait de l’animation à l’intérieur. Salomé entrouvrit la porte pour entendre ce qui se tramait.
    - Il paraît que vous allez dormir avec la nouvelle.
    - Ouais mais on fera en sorte de faire chambre à part dans la mesure du possible. Elle est bizarre cette fille et en plus elle s’habille comme un sac. T’as vu son manteau ? Elle l’a acheté aux puces ou quoi ?
    - Je suis sûre qu’elle est encore vierge, elle ne va pas faire long feu si elle continue à se comporter comme une gamine.
    Choquée Salomé s’écarta vivement de la porte au cas où quelqu’un voudrait sortir et la voyait debout au milieu du couloir le visage perplexe à ne pas savoir comment réagir tenant sa valise à bout de bras. Elle eut à peine le temps de se glisser à l’intérieur pour échapper aux foudres de la surveillante de garde qui entama sa ronde nocturne afin de s’assurer que tous les internes étaient sagement rentrés dans leur chambre pour se préparer à dormir.
    - Ton lit c’est celui d’en haut fais en sorte de pas trop bouger en dormant.
    Salomé se retourna pour faire face à ses nouvelles camarades de chambre mais aucune d’entre elles ne lui prêta davantage attention trop occupées à consulter leurs portables sous leurs couettes respectives le regard ensommeillé. Elle soupira discrètement et après s’être mise en pyjama s’endormit comme une masse déçue par l’accueil froid dont ses compagnes de dortoir faisaient preuve à son égard.

    Hakim se réveilla de mauvaise humeur à cause de ses voisins qui l’avaient empêché de dormir une partie de la nuit pour avoir organisé une fête à l’improviste entre amis. Les traits tirés il ébouriffa ses cheveux pour leur redonner une forme convenable et se prépara un litre de café. Il se servit une tasse, une deuxième pour la route et versa le reste dans un thermos au cas où il ressentirait le désir irrépressible d’en boire à la pause. Au moment de sortir de l’’immeuble il aperçut Alice venir de loin. Il rangea son courrier et ses clefs dans sa sacoche et accourut à sa rencontre. Alice gloussa en le voyant arriver essoufflé à sa hauteur :
    - Il te reste encore du chemin à faire en matière de technique de drague.
    - Il faut un début à tout.
    - Tu as raison Alice acquiesça en se rapprochant pour réarranger le col de sa chemise. Tu avais l’air d’un oisillon à peine sorti du nid.
    - Je dois lui parler. Je n’arrive pas à me persuader que notre relation soit réellement enterrée.
    - De qui tu parles ?
    - La fille dont je t’ai parlé hier. Mon ex. Salomé Kluster.

    Contrairement à Honey Alice n’arrivait pas à apprécier la cigarette et donc au lieu de traîner au fumoir à la pause de dix heures allait profiter des beaux jours dans un coin du parc où la végétation était luxuriante. C’était un petit coin de paradis foisonnant qu’elle considérait un peu comme son jardin secret. Ce jour là prétextant avoir un doute à propos d’un exercice de maths que Honey elle non plus n’avait pas résolu Alice fit appel aux services d’Hakim et l’invita à la suivre. Hakim fut surpris de découvrir un petit paradis de verdure situé tout au fond du parc. Alice s’assit dans l’herbe adossée contre un tronc d’arbre et leva les yeux vers Hakim :
    - Explique moi ce qui s’est passé entre Salomé et toi.
    Hakim s’assit en face d’elle et déglutit ne sachant pas par où commencer son récit.

    De nouveau mais elle s’y attendait plus ou moins Salomé se retrouva seule à la pause. C’était le risque à prendre en arrivant au mois de mars lorsque les amitiés étaient déjà tissées de longue date. Elle se réfugia dans un coin isolé assise sur un banc à l’ombre des platanes et sortit de son sac une copie simple et un crayon à papier. Elle commença à dessiner d’un tracé maladroit et mal assuré en oubliant le monde autour d’elle. A y regarder de près elle réalisa qu’elle dessinait à traits vifs et désordonnés le visage d’Hakim et que cela lui procurait le sentiment douloureux de la mélancolie. La douceur dans ses yeux et la sincérité dans son sourire lui transpercèrent le cœur.
    Sa présence à ses côtés lui manquait terriblement. Elle voulut en cet instant le tenir dans ses bras, sa tête reposant sur son épaule et que ce moment d’intimité ne finisse jamais. Le bruit de la cloche la ramena à la réalité en la faisant sursauter. Elle plia son dessin et le glissa dans le rabat de son trieur. En rejoignant ses camarades devant la salle de cours elle se jura de reprendre le dessus désormais et de ne pas se laisser submerger par la tristesse et la nostalgie. Il était nécessaire d’aller de l’avant et d’apprendre du passé afin d’entrevoir un avenir meilleur. Elle ressentait du regret de s’imaginer qu’une relation aurait été possible si les circonstances l’avaient voulu ainsi.

    Hakim raconta toute l’ampleur de la tragédie qui se jouait entre lui et Salomé depuis le tout début, comment et pourquoi Salomé en avait fini par vouloir se suicider. Il lui confia que le cours des évènements lui échappait à tel point qu’il ne savait plus exactement ce qu’il ressentait à l’égard de Salomé si c’était de l’amour ou simplement une relation d’ordre amical voire une certaine distance.
    Alice écouta son récit le sourcil levé. Pourquoi Salomé ne se confiait elle jamais à elle alors qu’elle était sa meilleure amie ? Alice aurait sans doute pu l’aider à surmonter ce sentiment de vide et d’absence. Salomé avait subi une forme de solitude forcée et cela l’avait conduite à ne compter que sur elle même pour se construire et comprendre ses sentiments. Or dans ce cas de figure la présence d’autrui était rassurante voire essentielle pour ne pas se battre seul :
    - Au fait, qu’est ce que tu ressens pour moi ?
    La question était directe peut être trop mais appelait une réponse franche. Or Hakim n’était ou ne se sentait pas prêt pour entamer une relation sérieuse et durable avec quiconque. Ceci étant il l’appréciait comme une amie chère sur laquelle on peut compter dans les moments difficiles. Peut être plus qu’une amie disait son cœur mais sa raison n’osait pas l’admettre. Alice baissa les yeux :
    - Je peux comprendre si tu as besoin d’un certain temps pour te décider. Mais sache que tu auras toujours quelqu’un à qui parler dans les coups durs. Quelque soit ton choix écoute ton cœur c’est ton meilleur guide dans bien des situations.
    Hakim acquiesça et détourna le regard. Qu’avait il ressenti en piratant A comme Arobase ? Lui qui avait été certain de gagner la partie était il en train de la perdre ?

    Connecté aux forums en tant qu’administrateur June parcourut en diagonale la section Questions/Réponses et ferma la page en cours après avoir fait un bref ménage parmi les sujets inactifs. Pensif il s’étira en étouffant un bâillement et se servit un troisième café depuis son réveil après une nuit agitée qui ne le lui avait laissé aucun repos. Il tournait et retournait une question sans cesse dans sa tête. Avait il vraiment fait le bon choix tout compte fait ? En pesant le pour et le contre il n’y avait aucun risque à promouvoir Salomé modératrice pour la popularité du site car celle ci était d’ores et déjà connue de la blogosphère à travers le succès de A comme Arobase qui générait jusqu’à peu un nombre impressionnant de visiteurs pour un blog amateur d’actualités sur les nouvelles technologies. Cependant sa présence dans l’équipe posait un problème délicat qu’il lui appartenait de résoudre seul. Elle était la plus jeune des huit à bien des égards et cela ne lui convenait qu’à moitié d’une part parce qu’elle manquait encore d’expérience, d’autre part parce qu’elle ne le laissait pas complètement indifférent mais cela il l’attribuait au fait de se comporter comme s’il avait été pour elle un grand frère attentionné qui se faisait du souci pour sa petite sœur pour l’instant non préparée à entrer dans l’âge adulte avec tout ce que cela impliquait. Il pensa à Anon_330 qui était plus ou moins sorti de l’anonymat suite aux récentes péripéties et se permit de sourire. Le comportement réciproque de ces deux là l’un envers l’autre était criant de vérité. Ils s’aimaient à n’en pas douter mais ne savaient pas comment qualifier leurs sentiments ce qui leur posait plus de problèmes relationnels qu’ils ne trouvaient de solutions pour y remédier d’un point de vue affectif. Etre le témoin de ce dilemme affectif en suivant de loin en loin l’évolution de A comme Arobase devenait troublant comme s’il n’était pas de son ressort d’y prendre part.
    June se remit au travail sur l’élaboration d’un nouveau service d’hébergement de fichiers qu’il comptait mettre en place sous peu sans cesser de réfléchir à comment il pouvait aider Salomé à réaliser et comprendre ses sentiments. Dans cette situation son rôle d’arbitre était plus que jamais nécessaire, un arbitre impartial qui se contenterait de peser le pour le contre en essayant de rétablir l’équilibre.

    Au déjeuner Hakim se rendit aux casiers pour prendre ses cours de l’après midi. En remettant de l’ordre dans ses cahiers il repensa à sa discussion avec Alice plus tôt dans la matinée. Elle disait vrai il devait assumer ses sentiments mais que faire s’il était trop tard pour faire marche arrière ? D’autant plus que s’il n’arrivait pas encore à se l’avouer il ressentait plus que de l’amitié pour elle bien qu’il ait éludé rapidement la question en sa présence. Elle était là à ses côtés prête à l’écouter et à le réconforter. Elle comprenait son mal être et faisait de son mieux pour l’aider à y remédier le moins douloureusement possible. C’était tout ce qu’il pouvait espérer être écouté et soutenu dans une période difficile de sa vie pleine de doutes et de questionnements sur lui même.


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  • Les jours puis les semaines passèrent à toute vitesse alors que l’échéance du bac approchait. Pendant la semaine Salomé logeait et travaillait à l’internat, le weekend au lieu de rentrer chez ses parents elle passait le samedi et le dimanche chez June car c’était le seul moment de la semaine où elle pouvait vaquer à ses fonctions de modératrice. A peine un mois après son arrivée dans l’équipe ses sept collègues devinrent avec le temps des amis inséparables et c’était presque avec regret et nostalgie qu’elle bouclait ses valises le dimanche soir pour être de retour à l’internat le lundi matin jusqu’au vendredi suivant Elle était heureuse tout au plus se sentait apaisée et confiante en l’avenir. Au fil du temps ses résultats s’améliorèrent. Bien vite son mal être s’estompa et elle retrouva le sourire comme le soleil après la pluie. Par ailleurs sa relation avec June devint plus intime au fil du temps. A l’insu de tous et tout particulièrement des intéressés le hasard ne cessa de les rapprocher. Il venait la chercher à la gare en voiture le vendredi soir et rien que ce trajet relativement court leur offrait quelques minutes d’intimité côte à côte. Elle savait se confier à son sourire aimant en cas de problème et son expérience dès qu’elle avait une question ou un doute sur comment réagir en tant que modératrice. Par ailleurs il n’était pas rare que toute l’équipe parte en soirée dans la boîte du coin et June faisait en sorte de veiller sur elle, se montrant prudent et prévenant afin qu’il ne lui arrive rien de grave. Néanmoins cela lui valut de s’attirer les foudres jalouses d’Isabella qui voyait leur relation naissante d’un mauvais œil considérant qu’elle était en droit mieux et davantage que quiconque de sortir avec June étant donné qu’elle avait cofondé le site à ses côtés quelques années auparavant.
    Ce fut de loin la seule fausse note dans l’harmonie qui se jouait avec entrain à l’approche de l’été. Salomé était heureuse, tout simplement. Elle se contentait de vvre sans se soucier de l’avenir outre mesure. Mais quelque chose continua de la tracasser pendant qu’elle menait à bien ses révisions. La fin d’année approchait et la rumeur se mit à courir qu’un bal de fin d’année allait être organisé au moment de la remise des diplômes. Les filles commencèrent à spéculer sur leurs cavaliers potentiels mais elle n’était pas suffisamment proche des garçons de l’internat pour oser espérer être invitée à danser. Dans le domaine de la séduction elle était inexpérimentée et de loin comparée à Honey ou même Alice qui n’auraient pas nourri autant de scrupules. 

    - Hakim voudrais tu être mon cavalier lors du bal de fin d’année ? Honey roucoula.
    Pensant être seul pour réviser en paix dans une salle de travail au fond du CDI Hakim sursauta et leva les yeux de son livre de chimie. Honey s’assit en face de lui en déployant généreusement le contenu de son sac sur la table de travail pour trouver son cahier de maths.
    - Alors ? Que penses tu de ma proposition ?
    - Tu devrais penser à réviser avant de penser à la cérémonie des diplômes.
    - C’est un refus ?
    - Non c’est que je n’ai pas encore pris le temps d’y réfléchir.
    - Fais vite les couples vont rapidement se former je te le garantis.
    - Tout ce cérémonial et ces fanfreluches ne me fascinent pas vraiment.
    - Tu te laisses influencer par les propos d’Alice c’est pourtant le moment de l’année que tout le monde aime voir venir. Ca se fête l’obtention du bac et cela doit devenir un événement inoubliable !
    - Je le pense vraiment. Maintenant laisse moi travailler s’il te plaît.
    - Oh l’ours polaire a un cœur sensible, Honey susurra en lui prenant des mains son livre de chimie. Fais une pause tu travailles trop. Pense à t’amuser davantage.
    - Le moment venu je saurais bien m’amuser. Il ne faut pas prendre le bac à la légère.
    - Tu es trop sérieux.
    Elle se leva et contourna la table. Elle s’approcha du jeune homme et sourde à ses protestations déboutonna le premier bouton de sa chemise.
    - Voilà tu as l’air plus décontracté quand ta chemise n’est pas fermée jusqu’au dernier bouton.
    - Honey, arrête ! Si la bibliothécaire nous voit elle va croire que…
    - Elle aura beau dire ce qu’elle veut cette vieille pie je m’en fiche éperdument.
    Elle le contraignit à la regarder droit dans les yeux et lui pinça les joues amicalement :
    - Contente toi de saisir la chance quand elle se présente. Je ne t’offrirais pas de deuxième opportunité si tu refuses mon invitation maintenant.
    - Honey….
    Elle le fit taire en l’attirant dos au mur contre ses seins. Elle plaqua ses lèvres contre les siennes de force le temps d’un baiser langoureux. Des pas retentirent. Elle se retira avec un sourire espiègle :
    - Ce n’était qu’un avant goût.

    Sonné Hakim fit en sorte de garder des distances avec Honey suite à cet incident. Il était parfaitement conscient que si la bibliothécaire n’était pas passée par hasard ranger les rayons Honey aurait continué son petit jeu de séduction jusqu’à ce qu’elle ait assouvi son désir. Ce n’était pas ce que Hakim recherchait en premier dans une relation. Plus que tout il tenait en haute estime la sincérité et le respect de l’autre avant les plaisirs du corps. Il se surprit à comparer Honey et Salomé. La candeur contre l’audace. Il n’aurait su dire laquelle choisir car l’une avait ce que l’autre mettrait des années à comprendre et à obtenir. Lentement Hakim admit à lui même préférer l’espièglerie d’Honey à l’innocence presque enfantine de Salomé. 

    Le mois de juin arriva en un clin d’œil et il en fut de même pour la période des examens qui se termina aussi vite qu’elle commença dans le tourbillon des révisions de dernière minute au rythme des spéculations les plus diverses sur les sujets à présenter et des conversations dans les couloirs après les épreuves pour savoir comment chacun avait répondu à telle question ou tel exercice. Le temps passa lentement jusqu’à la cérémonie de remise des diplômes. Salomé passait la majeure partie de son temps à réviser davantage au cas où elle devrait passer les rattrapages ce qui était fortement probable pendant qu’elle modérait la section du forum réservée aux nouvelles technologies. Le jour tant attendu des résultats survint et il s’avéra qu’elle obtint le bac à quelques points près au dessus de la moyenne cependant sans mention. Comme elle s’y attendait cela lui permettait tout au plus de s’inscrire à l’université et d’entrer le moment opportun par d’autres voies d’admission dans l’école de ses rêves dans un futur proche. D’autant plus que pour ce faire il aurait fallu qu’elle finance ses études par ses propres moyens car ses parents n’auraient pas déboursé une somme d’argent phénoménale étant donné que six mois auparavant elle ne s’était pas montrée d’une nature déterminée à travailler pour réussir en proie à une dépression prématurée. Seule ombre au tableau étaient ses relations affectives. Arrivée tard à bord elle s’était fait peu d’amis. A l’internat alors que les uns empaquetaient leurs bagages pour rentrer chez eux et les autres se préparaient pour le bal la rumeur se mit à courir qu’un autre bal était organisé dans l’enceinte de son ancien lycée. Elle pesa le pour et le contre à savoir auquel elle préférait assister. La rumeur s’accentua à propos d’un garçon qui faisait tourner les cœurs de toutes les filles un peu populaires qui lui demandèrent de devenir leur cavalier malgré ses refus successifs. Une drôle de boule se forma dans la gorge de Salomé pendant qu’elle se préparait. Elle jeta un regard en coin à son portable tandis qu’elle se maquillait les joues. Sur l’écran scintillait un nouveau message lui annonçant que son cavalier potentiel lui préférait une autre fille. Ce garçon apparemment froid et distant qui défrayait la rumeur ne pouvait être que Hakim mais cela lui sembla étonnant à moins qu’il n’ait intégré le lycée au moment où elle était rentrée à l’internat. Si la rumeur disait vrai, c’était peut être le moment ou jamais de saisir la chance qui lui était offerte.

    Elle n’arriverait pas à temps pour le début du bal si elle attendait le prochain train. Salomé extirpa de son sac son portable et composa le numéro de June. Il décrocha à la première sonnerie :
    - Allô ?
    - Bonsoir June c’est Salomé. Ecoute j’ai besoin de ton aide. Tu as ton permis et une voiture qui peut aller sur l’autoroute, n’est ce pas?
    - Oui, pourquoi ?
    - J’ai besoin de retourner en ville. C’est urgent sinon j’aurais pris le train.
    - Maintenant ? Si tu veux mais il se fait tard.
    - Je t’en prie sinon il sera trop tard !
    - Je croyais que tu allais au bal de fin d’année.
    - Je n’y vais plus. Mon cavalier m’a laissé en plan pour une autre fille.
    - Attends moi devant le portail de l’internat je passe te prendre dans dix minutes.
    - Merci June, vraiment merci.

    June gara sa Twingo en double file et vint à la rencontre de Salomé. Il la dévisagea de la tête aux pieds avec un œil perplexe. Elle était apprêtée comme si elle allait réellement au bal avec une robe de soirée en soie ample assortie à une paire d’escarpins vernis rouge vermeil, le tout rehaussé d’un maquillage lumineux qui mettait l’ovale de son visage en valeur. Il resta muet de stupéfaction puis se ressaisit :
    - Tu ne devrais pas aller te changer si tu ne vas plus danser ?
    - Je n’ai plus le temps et puis je dois aller à un autre bal pour te dire toute la vérité.
    - Je vois. Monte je vais voir de quoi les moteurs de cette bécane sont capables pour arriver à temps.

    Le parc était décoré de lampions multicolores suspendus aux arbres. Le château avait été nettoyé de fond en comble et aménagé de telle sorte à faire office de salle de bal pour accueillir les danseurs dans les meilleures conditions possibles car à circonstances exceptionnelles, événement exceptionnel qui se devait d’être gravé dans les mémoires. Pour l’occasion même les professeurs étaient habillés sur leur trente et un hommes et femmes. Les premiers invités arrivèrent par groupes de deux ou trois impatients que la fête commence. Au fur et à mesure des arrivées les couples se retrouvèrent. Les conversations allaient bon train. Hakim se sentait engoncé dans son costume. Honey lui assena une bourrade amicale dans le dos.
    - Allez souris un peu c’est censé être le meilleur jour de ta vie ! s’exclama t elle avec un clin d’œil.
    Alice leva les yeux au ciel avec un soupir :
    - Le lycée a juste voulu marquer l’occasion, tu n’as qu’à voir les lycées américains c’est une toute autre affaire.
    - On dirait que tu n’aimes pas ce genre de soirées Alice, Honey rétorqua d’un air bougon.
    - Tu as l’air de te croire dans un conte de fées je fais en sorte que tu gardes les deux pieds sur Terre.
    - Au moins une fois dans l’année on peut faire la fête avec insouciance et toi tu viens tout gâcher avec tes conseils moralisateurs ? Non merci !
    Soudain une Twingo bleu turquoise pila devant le portail du lycée. Tous les regards se tournèrent vers le véhicule. Venir au bal de fin d’année en Twingo !
    Côté conducteur un jeune homme d’une vingtaine d’années déverrouilla la portière. Selon les standards d’Honey en matière de séduction il semblait plutôt beau gosse. Il fit descendre une fille habillée d’une robe rouge vermeil élégante déployée en fleur ouverte à partir de la taille jusqu’aux genoux. Il gara la Twingo un peu en contrebas et revint. Il offrit son bras à sa cavalière et ils gravirent ensemble les marches du château bras dessus dessous sous les regards médusés des convives.

    Ils formaient un couple à la fois étrange et resplendissant. Lui âgé de quelques années supplémentaires se débattant avec la vingtaine, elle à peine adolescente princesse perchée en haut d’une paire d’escarpins vernis.Elle dansait maladroitement peu familière des talons hauts et lui faisait en sorte de sauver la situation pour deux.
    - On devrait partir June. Ce n’était pas une bonne idée de venir, on attire trop l’attention.
    - C’était ton idée.
    La fille se dirigea vers le hall. Il la rattrapa et lui saisit les poignets :
    - Tu veux fuir maintenant ? Tu veux avoir des regrets pour le restant de tes jours parce que tu n’as pas le courage d’assumer tes sentiments ?
    - Je n’ai pas besoin de tes conseils !
    - Idiote ! Espèce d’idiote ! Au lieu de te réfugier derrière l’identité virtuelle de GirlyxGeek pour te croire populaire affronte la réalité comme elle est !
    La gifle le cueillit au creux de la mâchoire sans crier gare. Il bondit en arrière et revint à la charge :
    - La vérité est elle si douloureuse à admettre ?
    - Ne te mêle plus jamais de mes affaires ! Ce sont mes problèmes et pas les tiens ! Tu ne sais rien de ce que je… Hakim et moi avons traversé pour en arriver à se séparer de la sorte ! Contente toi d’être l’administrateur de mon blog et non pas celui de ma vie !
    Soufflé June se massa la mâchoire incapable de répliquer. Un sourire satisfait étira ses lèvres. Il se rapprocha et posa une main sur l’épaule de Salomé :
    - C’est moi qui vais m’en aller. Je crois que tu commences à comprendre. Je ne suis pas entré dans ta vie pour jouer le rôle de la courroie de remplacement mais pour t’apporter le soutien qu’il te manquait pour réintégrer la vie réelle. Bienvenue chez toi dans ce monde sans pixels qui s’appelle la réalité.
    - June attends ! Je suis désolée si mes mots t’ont blessé je ne voulais pas… !
    - Fais ou refais ta vie en faisant les bons choix si possible pour ma part je saurais me reconstruire.

    Choquée Salomé le regarda s’éloigner sans un mot.
    - June, reviens …
    Autour d’elle les festivités reprirent. Le dancefloor résonna des conversations enjouées ponctuées d’éclats de rire des convives et des verres qui s’entrechoquaient pour se souhaiter bonne chance pour l’avenir et félicitations pour avoir obtenu le bac avec telle ou telle mention. Salomé demeura immobile au milieu de la foule le cœur battant à cent à l’heure: « Qu’ai je fait ? » Elle repensa au regard que June lui avait décoché avant de s’éclipser. Elle y avait décelé un mélange d’émotions contradictoires de la tristesse au mépris en passant par la compassion. Une main se posa sur son épaule. Salomé sursauta et se retourna. Alice posa un doigt sur ses lèvres et l’entraîna à l’écart non loin de la sortie.
    - Allons discuter dehors.

    La nuit était calme. Le parc scintillait de mille couleurs diffusées par les lampions qui jalonnaient de part et d’autre le chemin menant au château. Le lac ne faisait plus qu’un avec le clair de lune. Alice n’avait pas lâché la main de Salomé. Elle la fit asseoir sur un banc à l’écart de la fête et s’assit à côté d’elle.
    - Tu dois lui parler.
    Salomé la dévisagea avec incrédulité :
    - De qui tu parles ?
    - Hakim.
    - On a rompu.
    - Peut être oui mais il en est autrement.
    - Hein ?
    - Il t’a attendu et puis le moment est venu où il a cessé d’attendre.
    Salomé resta sans voix. Alice lui prit les mains :
    - Même s’il est trop tard va quand même lui parler.
    Salomé se leva les jambes tremblantes et regagna la fête. Elle avait chaud. Elle avait soif. Elle ne souhaitait qu’une chose partir en courant car elle ne se sentait bel et bien pas à sa place. Boire de l’alcool ne fit rien pour l’apaiser et étourdissait ses sens. Elle crut qu’elle allait défaillir et prit appui sur le rebord du buffet pour ne pas chanceler. Elle respira profondément et chercha des yeux Hakim qui se révéla être introuvable. Quant à Honey elle était déjà aux bras d’un autre garçon du lycée que Salomé connaissait de vue pour avoir été dans la même classe en seconde et qui depuis était devenu la coqueluche de toutes les filles populaires du lycée.
    Elle ressortit dans le parc pour continuer ses recherches en désespoir de cause ; Elle s’apprêtait à abandonner lorsqu’elle le retrouva au bord du lac. Sa silhouette athlétique se découpait dans le clair de lune en ombre chinoise. Le dos tourné il ne la voyait pas mais elle le vit impuissante se débarrasser de ses chaussures et son veston avant de s’immerger dans l’eau glaciale. Bientôt l’eau lui arriva à la taille. Paralysée en état de choc elle voulut crier à l’aide mais aucun son ne franchit ses lèvres dans un filet de voix inaudible. Sans hésiter davantage elle plongea à sa suite.
    Sous la surface l’eau était trouble mais la lumière du clair de lune rendait visibles les profondeurs. Son corps se détachait du bleu profond et insondable des entrailles du lac. Bonne nageuse elle retint sa respiration et accéléra. Ses bras se refermèrent autour du buste d’Hakim et elle remonta à la surface telle une sirène jaillissant hors de l’eau à bout de souffle. Elle marcha vers le bord à petits pas afin d’esquiver la vase qui menaçait de la piéger. Elle allongea Hakim sur l’herbe sous le grand chêne qui surplombait le parc de sa canopée épaisse et verdoyante étalant un tapis de feuilles fraîches au toucher à l’endroit où commençaient ses racines. Ses vêtements sûrement coûteux pour honorer l’occasion étaient trempés d’eau brun-verdâtre et déboutonnant sa chemise pour l’essorer lui prêta sa veste sans hésiter pour lui éviter d’attraper froid. La température du soir était douce. Elle posa une main contre son cou pour vérifier son pouls. Son cœur battait faiblement à intervalles irréguliers.
    Elle eut une seconde d’hésitation et inspira profondément une grande goulée d’air. Ses lèvres se plaquèrent sans trembler contre celles d’Hakim pour le ramener à la vie. Quand tout espoir semblait perdu le jeune homme toussa violemment. Il bascula sur un côté pour recracher l’eau qui obstruait ses poumons et se retourna pour tomber nez à nez avec Salomé.
    Surpris il eut involontairement un mouvement de recul en essuyant l’eau qui dégoulinait sur son visage d’un revers de la main. Salomé esquissa un sourire pâle. Depuis leurs retrouvailles il lui sembla que cela devait bien être la première fois qu’il la voyait sourire que ce fut un sourire seulement esquissé de soulagement ou de compassion. En tous cas c’était avec une franchise toute enfantine et spontanée que Salomé fit le premier pas, attirant son buste froid contre le sien pour le serrer dans ses bras :
    - Idiot, tu m’as tellement manqué !


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  • La ville se parut peu à peu de ses couleurs nocturnes résonnant de la clameur de quelques fêtards enthousiastes profitant de leur première soirée d’été entre amis bien méritée après une année scolaire riche en rebondissements. Mais June ne se sentait pas d’humeur à partager cet esprit festif. Il s’enferma à clef dans l’espace clos de sa Twingo loin du vacarme extérieur. Seul le bourdonnement de l’autoradio diffusant les derniers tubes à la mode vint animer sa soirée morne et lui procurer du réconfort dans sa solitude. Il ne voulait parler ni voir personne et laissa le visage d’Isabella scintiller jusqu’à ce que son téléphone cesse de vibrer. Il coupa l’autoradio et s’installa dans le silence de la nuit laissant sa tête reposer contre le dossier du siège conducteur avec lassitude. Ces sentiments inavoués qu’il s’efforçait de refouler quelque part dans le registre des excès passionnels resurgirent au moment inopportun pour revenir tourmenter sa conscience.
    Il ralluma la musique qui lui procurait du réconfort dans sa solitude. Que faire ?

    Salomé ne revenait pas. Ne reviendrait peut être jamais.
    La gorge nouée June baissa le volume de la radio et se rencogna au fond du siège conducteur la tête posée contre le rebord de la vitre. La douce mélodie s’échappant des enceintes, l’air doux et parfumé d’une chaude nuit d’été, l’écho de la fête battant son plein en son absence firent céder le masque d’indifférence qu’il s’efforçait de laisser paraître aux yeux de son entourage. Une larme coula le long de sa joue, caressa ses lèvres raidies à force de retenir les sanglots qui menaçaient de submerger la digue, laissant sur sa langue le parfum doux-amer du remords. Il refusait de se l’avouer mais il se sentait immensément coupable d’avoir rejeté Salomé loin de son cœur sans se préoccuper des sentiments que la jeune fille elle-même témoignait à son égard. Lui qui l’avait secourue au bord du gouffre, lui avait redonné le goût de vivre par son optimisme et son sourire, soutenue et conseillée comme s’il avait été son grand frère s’apprêtait à trahir sans scrupules la confiance presque enfantine avec laquelle elle l’avait considéré comme son ami dès leur première rencontre.
    Il sentait encore la peau de sa joue tressaillir là où Salomé l’avait violemment giflé.

    La soirée touchait à sa fin, dans l’enthousiasme des embrassades en proposant de finir la soirée chez les uns et chez les autres. Par petits groupes les convives se dispersèrent en se promettant d’organiser des vacances entre amis avant l’heure du grand départ vers les études supérieures.
    June remonta l’allée du parc d’un pas décidé, chercha Salomé du regard mais elle demeura introuvable. Il sentit ses jambes se dérober et s’assit sur un banc pour reprendre ses esprits.
    - Tu as l’air de chercher quelqu’un, as tu besoin d’aide ?
    Pris par surprise June sursauta et leva les yeux. Une jolie fille brune aux yeux noisette habillée d’une robe de soirée bleu nuit le dévisageait avec curiosité. Elle lui sourit amicalement :
    - Je peux m’asseoir ?
    Etonné par sa témérité June pensa qu’il était indélicat de parler de ses problèmes de cœur avec une inconnue mais accepta néanmoins sa proposition.
    - Je te reconnais ! Tu es le garçon de tout à l’heure qui a quitté le bal trop tôt, n’est ce pas ?
    - Appelle moi June.
    - Moi c’est Alice, je suis une amie d’enfance de Salomé, pour ne pas dire sa seule amie, soyons honnêtes.
    - Parle moi d’elle, plutôt de vous.
    - Elle, Hakim et moi sommes rencontrés sur les bancs de l’école primaire et depuis nous avons grandi presque côte à côte jusqu’à ce que le destin en décide autrement: auparavant nous étions quasi inséparables, après le drame tout a changé.
    - Salomé ne me l’avait pas raconté sous cet angle.
    - Si tu la connais un peu, tu as sûrement remarqué qu’elle se confie rarement aux autres, même à ses amis les plus proches. Au fil du temps elle s’est enfermée peu à peu dans sa chrysalide en générant un double virtuel d’elle-même en la personne de GirlyxGeek toujours enjouée et passionnée de nouvelles technologies, ce qui n'a fait que l'isoler davantage du monde extérieur. Je dirais même que cela l’a maintenue au bord du gouffre un certain temps au lieu de l’aider à se sentir mieux dans sa peau… et voilà le résultat.
    June soupira avec lassitude. Il alluma une cigarette en regardant pensivement la fumée former des volutes dans le clair de lune.
    - Tu es du genre romantique, hein ?
    - Hein ? Quoi ? June s’exclama les joues écarlates, embarrassé.
    - Ne fais pas l’idiot, je vois clair dans ton jeu.
    - Ce… ce n’est pas ce que tu crois ! Je suis… en relation libre avec… quelqu’un…
    - Vraiment ? Tu as l’air de celui qui refuse d’admettre une réalité pourtant évidente  alors que je viens de te prendre sur le fait !
    June écrasa sa cigarette et esquissa un sourire pâle : « Alors je ne suis pas bon comédien. » Alice haussa les épaules en glissant dans sa poche arrière une serviette en papier froissée :
    - Peut être que tu te mens à toi même en fin de compte. La bonne fée Alice t’offre une seconde chance pour te racheter, c’est l’opportunité d’un soir pour tout recommencer.
    Perplexe, June jeta un regard en coin au morceau de papier usé qu’elle lui avait remis. Dessus des nombres et des lettres étaient inscrits au feutre noir à la va-vite, à peine lisibles.
    - Va, tu me remercieras plus tard !

    Vingt-trois heures trente.
    June se mit à courir comme il n’avait jamais couru de sa vie. Médusés les passants du soir se retournaient vers lui pour dévisager avec curiosité ce jeune homme qui courait à perdre haleine le long du boulevard, au bord des larmes. Il progressait hors du temps et de l’espace, ignorant tantôt les klaxons répétés d’un automobiliste qui manqua de le heurter, tantôt la distance qui le séparait de la maison de Salomé dont il ne trouvait pas l’adresse.

    Minuit quinze.
    A bout de souffle June frappa doucement à la porte d’entrée et recula d’un pas. Un homme entre deux âges au physique trapu vint lui ouvrir :
    - Qu’est ce qui vous amène au beau milieu de la nuit jeune homme ? Qui êtes vous ?
    Incapable de soutenir son regard June baissa les yeux. De honte il tenta de battre en retraite :
    - Je… Je cherche la maison d’une amie mais je me suis trompé d’adresse. Passez une bonne soirée et … désolé du dérangement, balbutia le jeune homme d’une voix faible.
    - Papa, qui-est ce ?
    Drapée d’une robe de chambre molletonnée nouée à la taille Salomé apparut dans le vestibule, l’air d’avoir été réveillée en sursaut par une visite inopportune. Ses yeux s’écarquillèrent de stupéfaction lorsqu’elle vit June debout dans l’embrasure. Il esquissa un sourire contrit :
    - Je t’ai cherchée partout. Il faut qu’on rentre à l’appartement maintenant sinon les autres vont s’inquiéter de notre absence prolongée tard dans la nuit.
    - Je ne rentre pas.
    - Quoi ?
    - J’ai passé un contrat avec mes parents avant de partir en internat. Je devais revenir à la maison pour les vacances d’été dès la fin des cours pour me détendre et me préparer aux études universitaires.
    - Mais je pensais… Pourquoi ne m’as tu rien dit à ce propos ?
    - Je ne voulais pas… te blesser. Tu m’as tant donné pour me convaincre de prendre la vie du bon côté en regardant vers l’avenir au lieu de m’appesantir sur le passé, m’assurant un soutien sans faille quand j’avais besoin de me sentir aimée. Et j’avais si peu à offrir en retour. J’ai voulu bien faire en acceptant de travailler comme modératrice mais maintenant je réalise que c’était peut être idiot parce je ne pouvais pas tenir mes engagements sur le long terme autant que je l’aurais voulu. Je suis désolée June, sincèrement désolée mais nos routes se séparent ici même pour ton bien et le bien de l’équipe et… je reviendrais demain ou après demain pour récupérer mes affaires… J’ai été heureuse de travailler avec toi et je vous souhaite à tous bonne chance pour la suite… l’aventure continue c’est ce qu’on dit, n’est ce pas ?
    June ne l’écoutait plus, la gorge serrée. Il secoua la tête pour tenter vainement de maitriser son émotion :
    - C’est de ma faute… Dis moi que tout est de ma faute et je l’admettrais volontiers.
    - Tu ne dois pas te sentir coupable. C’est ma vie, avec ses succès et ses déboires, qui en a décidé ainsi. On se connaît à peine et je ne t’ai pas tout raconté à propos de mon passé. Sinon je me serais comportée avec égoïsme. La pauvre petite lycéenne en détresse qui cherche à se faire un ami à tout prix pour retrouver le goût de vivre. Tu aurais voulu de moi si tel avait été le cas ?
    Silencieux June baissa la tête. Lentement il se rapprocha de la jeune fille, les jambes tremblantes. Ne sachant pas comment lui présenter correctement ses excuses, hésitant sur la manière dont lui confier ces sentiments longtemps refoulés qui le remplissaient à la fois de tristesse et de tendresse en sa présence, il la prit dans ses bras, le front posé au creux de son épaule:
    - Je te demande pardon Salomé, murmura-t-il au bord des larmes.
    - Qu’as tu à te faire pardonner ? s’enquit la jeune fille en se libérant de son étreinte, les joues enflammées, gênée par le tournant que prenait soudainement leur conversation.
    - Je ne suis pas ce genre d’ami. Je t’aurais écoutée, voire conseillée dans la mesure de mes capacités, à l’aide de mon expérience personnelle. En tous cas je ne t’aurais pas regardée tomber dans le gouffre sans intervenir pour t’aider à remonter la pente.

    Salomé n’aurait pu déceler la timidité de June. Il faisait de son mieux pour la dissimuler en se montrant systématiquement enjoué et jovial aux yeux d’autrui. Elle le fit entrer et l’invita à enlever ses chaussures :
    - Maintenant que tu es là, je te propose de rester dormir ici pour la nuit au lieu de chercher un hôtel.
    - C’est gentil de ta part mais tes parents vont-ils accepter ma présence sous leur toit ?
    Salomé haussa les épaules :
    - Demain je leur expliquerai qu’on s’est rencontré peu de temps après mon arrivée à l’internat et qu’on est devenus des amis proches au fil du temps.
    - J’imagine leur réaction quand ils verront un jeune homme de vingt ans et leur fille quatre ans plus jeune descendre dans la cuisine ensemble pour le petit déjeuner comme si de rien n’était.
    - D’une certaine manière tu n’as pas tort mais j’ai l’âge d’assumer mes choix, entre autres vivre ma vie comme je l’entends, avec qui et comment
    - Décidément tu es un drôle de spécimen. Si timide et si fragile mais décidée à prendre ton indépendance peu importe les risques que tu encoures.
    Salomé gloussa discrètement :
    - Quels risques ? Je n’ai pas à me reprocher d’apprécier un jeune homme un peu plus âgé que moi avec qui je partage la majeure partie de mon temps libre et une passion commune pour l’informatique depuis trois mois.
    - Je suis heureux de l’entendre, June lui murmura tendrement à l’oreille en esquissant un sourire amical.
    Salomé lui sourit à son tour, un sourire chaleureux, sereinement. Il lui ouvrit les bras, l’autorisant à se blottir contre son torse solide pour y trouver le réconfort dont elle avait besoin sans vouloir se l’admettre à elle-même.
    - Je ne souhaite que ton bonheur, et j’accepterais aussi que tu veuilles te réconcilier avec Hakim Fedaya si tu le désires vraiment.

    Hakim se laissa tomber dans son sofa et alluma son ordinateur pour visionner les photos d’il y a six ans au temps où lui et Salomé se considéraient mutuellement comme meilleurs amis. Désormais le temps des soirées lecture pelotonnés au creux du canapé et les glaces au bord de la mer à l’occasion des vacances était révolu. il lui faudrait abandonner cette part d’innocence qui l’avait persuadé que renouer avec un amour d’enfance était encore possible six ans plus tard mais cela prendrait encore un certain nombre d’années. Il devait se rendre à l’évidence que chacun d’eux avait changé au fil du temps en prenant des chemins différents. Peut être que rester seulement bon amis était la meilleure façon de se retrouver après une séparation forcée de six ans sur laquelle il était encore difficile de tourner la page.
    Les semaines s’écoulèrent lentement dans une torpeur insupportable qui ne laissa aux consciences coupables ni satisfaction ni apaisement de pouvoir enfin profiter pleinement des vacances d’été. Trop lourd était le poids des remords pour être ignoré ou du moins vite oublié. C’était sans compter sur l’intervention de Xavier et Leia qui, en observateurs avisés, notèrent le changement radical dans le comportement de Salomé au fil des jours alors qu’elle s’adonnait avec entrain aux derniers préparatifs de sa future rentrée universitaire. Ils avaient peine à croire qu’en l’espace de six mois l’adolescente au bord du suicide s’était transformée en future étudiante enjouée comme par enchantement.


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