• 13- Doutes et questionnements

    Il y avait de l’animation à l’intérieur. Salomé entrouvrit la porte pour entendre ce qui se tramait.
    - Il paraît que vous allez dormir avec la nouvelle.
    - Ouais mais on fera en sorte de faire chambre à part dans la mesure du possible. Elle est bizarre cette fille et en plus elle s’habille comme un sac. T’as vu son manteau ? Elle l’a acheté aux puces ou quoi ?
    - Je suis sûre qu’elle est encore vierge, elle ne va pas faire long feu si elle continue à se comporter comme une gamine.
    Choquée Salomé s’écarta vivement de la porte au cas où quelqu’un voudrait sortir et la voyait debout au milieu du couloir le visage perplexe à ne pas savoir comment réagir tenant sa valise à bout de bras. Elle eut à peine le temps de se glisser à l’intérieur pour échapper aux foudres de la surveillante de garde qui entama sa ronde nocturne afin de s’assurer que tous les internes étaient sagement rentrés dans leur chambre pour se préparer à dormir.
    - Ton lit c’est celui d’en haut fais en sorte de pas trop bouger en dormant.
    Salomé se retourna pour faire face à ses nouvelles camarades de chambre mais aucune d’entre elles ne lui prêta davantage attention trop occupées à consulter leurs portables sous leurs couettes respectives le regard ensommeillé. Elle soupira discrètement et après s’être mise en pyjama s’endormit comme une masse déçue par l’accueil froid dont ses compagnes de dortoir faisaient preuve à son égard.

    Hakim se réveilla de mauvaise humeur à cause de ses voisins qui l’avaient empêché de dormir une partie de la nuit pour avoir organisé une fête à l’improviste entre amis. Les traits tirés il ébouriffa ses cheveux pour leur redonner une forme convenable et se prépara un litre de café. Il se servit une tasse, une deuxième pour la route et versa le reste dans un thermos au cas où il ressentirait le désir irrépressible d’en boire à la pause. Au moment de sortir de l’’immeuble il aperçut Alice venir de loin. Il rangea son courrier et ses clefs dans sa sacoche et accourut à sa rencontre. Alice gloussa en le voyant arriver essoufflé à sa hauteur :
    - Il te reste encore du chemin à faire en matière de technique de drague.
    - Il faut un début à tout.
    - Tu as raison Alice acquiesça en se rapprochant pour réarranger le col de sa chemise. Tu avais l’air d’un oisillon à peine sorti du nid.
    - Je dois lui parler. Je n’arrive pas à me persuader que notre relation soit réellement enterrée.
    - De qui tu parles ?
    - La fille dont je t’ai parlé hier. Mon ex. Salomé Kluster.

    Contrairement à Honey Alice n’arrivait pas à apprécier la cigarette et donc au lieu de traîner au fumoir à la pause de dix heures allait profiter des beaux jours dans un coin du parc où la végétation était luxuriante. C’était un petit coin de paradis foisonnant qu’elle considérait un peu comme son jardin secret. Ce jour là prétextant avoir un doute à propos d’un exercice de maths que Honey elle non plus n’avait pas résolu Alice fit appel aux services d’Hakim et l’invita à la suivre. Hakim fut surpris de découvrir un petit paradis de verdure situé tout au fond du parc. Alice s’assit dans l’herbe adossée contre un tronc d’arbre et leva les yeux vers Hakim :
    - Explique moi ce qui s’est passé entre Salomé et toi.
    Hakim s’assit en face d’elle et déglutit ne sachant pas par où commencer son récit.

    De nouveau mais elle s’y attendait plus ou moins Salomé se retrouva seule à la pause. C’était le risque à prendre en arrivant au mois de mars lorsque les amitiés étaient déjà tissées de longue date. Elle se réfugia dans un coin isolé assise sur un banc à l’ombre des platanes et sortit de son sac une copie simple et un crayon à papier. Elle commença à dessiner d’un tracé maladroit et mal assuré en oubliant le monde autour d’elle. A y regarder de près elle réalisa qu’elle dessinait à traits vifs et désordonnés le visage d’Hakim et que cela lui procurait le sentiment douloureux de la mélancolie. La douceur dans ses yeux et la sincérité dans son sourire lui transpercèrent le cœur.
    Sa présence à ses côtés lui manquait terriblement. Elle voulut en cet instant le tenir dans ses bras, sa tête reposant sur son épaule et que ce moment d’intimité ne finisse jamais. Le bruit de la cloche la ramena à la réalité en la faisant sursauter. Elle plia son dessin et le glissa dans le rabat de son trieur. En rejoignant ses camarades devant la salle de cours elle se jura de reprendre le dessus désormais et de ne pas se laisser submerger par la tristesse et la nostalgie. Il était nécessaire d’aller de l’avant et d’apprendre du passé afin d’entrevoir un avenir meilleur. Elle ressentait du regret de s’imaginer qu’une relation aurait été possible si les circonstances l’avaient voulu ainsi.

    Hakim raconta toute l’ampleur de la tragédie qui se jouait entre lui et Salomé depuis le tout début, comment et pourquoi Salomé en avait fini par vouloir se suicider. Il lui confia que le cours des évènements lui échappait à tel point qu’il ne savait plus exactement ce qu’il ressentait à l’égard de Salomé si c’était de l’amour ou simplement une relation d’ordre amical voire une certaine distance.
    Alice écouta son récit le sourcil levé. Pourquoi Salomé ne se confiait elle jamais à elle alors qu’elle était sa meilleure amie ? Alice aurait sans doute pu l’aider à surmonter ce sentiment de vide et d’absence. Salomé avait subi une forme de solitude forcée et cela l’avait conduite à ne compter que sur elle même pour se construire et comprendre ses sentiments. Or dans ce cas de figure la présence d’autrui était rassurante voire essentielle pour ne pas se battre seul :
    - Au fait, qu’est ce que tu ressens pour moi ?
    La question était directe peut être trop mais appelait une réponse franche. Or Hakim n’était ou ne se sentait pas prêt pour entamer une relation sérieuse et durable avec quiconque. Ceci étant il l’appréciait comme une amie chère sur laquelle on peut compter dans les moments difficiles. Peut être plus qu’une amie disait son cœur mais sa raison n’osait pas l’admettre. Alice baissa les yeux :
    - Je peux comprendre si tu as besoin d’un certain temps pour te décider. Mais sache que tu auras toujours quelqu’un à qui parler dans les coups durs. Quelque soit ton choix écoute ton cœur c’est ton meilleur guide dans bien des situations.
    Hakim acquiesça et détourna le regard. Qu’avait il ressenti en piratant A comme Arobase ? Lui qui avait été certain de gagner la partie était il en train de la perdre ?

    Connecté aux forums en tant qu’administrateur June parcourut en diagonale la section Questions/Réponses et ferma la page en cours après avoir fait un bref ménage parmi les sujets inactifs. Pensif il s’étira en étouffant un bâillement et se servit un troisième café depuis son réveil après une nuit agitée qui ne le lui avait laissé aucun repos. Il tournait et retournait une question sans cesse dans sa tête. Avait il vraiment fait le bon choix tout compte fait ? En pesant le pour et le contre il n’y avait aucun risque à promouvoir Salomé modératrice pour la popularité du site car celle ci était d’ores et déjà connue de la blogosphère à travers le succès de A comme Arobase qui générait jusqu’à peu un nombre impressionnant de visiteurs pour un blog amateur d’actualités sur les nouvelles technologies. Cependant sa présence dans l’équipe posait un problème délicat qu’il lui appartenait de résoudre seul. Elle était la plus jeune des huit à bien des égards et cela ne lui convenait qu’à moitié d’une part parce qu’elle manquait encore d’expérience, d’autre part parce qu’elle ne le laissait pas complètement indifférent mais cela il l’attribuait au fait de se comporter comme s’il avait été pour elle un grand frère attentionné qui se faisait du souci pour sa petite sœur pour l’instant non préparée à entrer dans l’âge adulte avec tout ce que cela impliquait. Il pensa à Anon_330 qui était plus ou moins sorti de l’anonymat suite aux récentes péripéties et se permit de sourire. Le comportement réciproque de ces deux là l’un envers l’autre était criant de vérité. Ils s’aimaient à n’en pas douter mais ne savaient pas comment qualifier leurs sentiments ce qui leur posait plus de problèmes relationnels qu’ils ne trouvaient de solutions pour y remédier d’un point de vue affectif. Etre le témoin de ce dilemme affectif en suivant de loin en loin l’évolution de A comme Arobase devenait troublant comme s’il n’était pas de son ressort d’y prendre part.
    June se remit au travail sur l’élaboration d’un nouveau service d’hébergement de fichiers qu’il comptait mettre en place sous peu sans cesser de réfléchir à comment il pouvait aider Salomé à réaliser et comprendre ses sentiments. Dans cette situation son rôle d’arbitre était plus que jamais nécessaire, un arbitre impartial qui se contenterait de peser le pour le contre en essayant de rétablir l’équilibre.

    Au déjeuner Hakim se rendit aux casiers pour prendre ses cours de l’après midi. En remettant de l’ordre dans ses cahiers il repensa à sa discussion avec Alice plus tôt dans la matinée. Elle disait vrai il devait assumer ses sentiments mais que faire s’il était trop tard pour faire marche arrière ? D’autant plus que s’il n’arrivait pas encore à se l’avouer il ressentait plus que de l’amitié pour elle bien qu’il ait éludé rapidement la question en sa présence. Elle était là à ses côtés prête à l’écouter et à le réconforter. Elle comprenait son mal être et faisait de son mieux pour l’aider à y remédier le moins douloureusement possible. C’était tout ce qu’il pouvait espérer être écouté et soutenu dans une période difficile de sa vie pleine de doutes et de questionnements sur lui même.


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